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DELBŒUF.de la prétendue veille somnambulique

naire les réalités elles-mêmes se font concurrence. Vous ne pouvez voir un cheval sans voir le conducteur, la charrette, les maisons de la rue, les passants, la terre et le ciel. Le somnambule, si vous le lui dites, ne verra que le cheval. De là, l’extraordinaire vivacité de ses impressions, la facilité avec laquelle il accepte les métamorphoses, la promptitude de ses résolutions. Ce n’est pas lui qui est tiraillé en sens divers. Il est poêle, il est quinquet ; il s’allume sans arrière-pensée, sans crainte de se brûler, à moins qu’on ne le lui suggère cette crainte. Certes, il sait développer spontanément une suggestion, mais sans sortir du cercle étroit qu’on lui a tracé. S’il est cochon de lait, il se mettra peut-être à quatre pattes, et grognera au lieu de parler, mais ne poussera pas plus loin ses déductions. S’il est en sucre, il pensera à se sucer, mais il ne songera qu’il peut fondre que si on lui parle de pluie.

B. est certainement intelligent et il a l’esprit d’à propos. Mais cet esprit, pour se montrer, a besoin d’une provocation directe. Ainsi je renouvelle avec lui le rêve de la tête disparue. Il ne fait pas comme J….. et M….. ; il touche sa tête dans tous les sens, mais en constatant qu’il ne la sent pas. À la question, « comment il me voit », il répond « avec ses yeux ». À cette autre question « où sont ses yeux puisqu’il n’a pas de tête, » il a l’air visiblement intrigué et répond qu’il ne sait pas. Je lui présente un miroir, il ne voit pas sa tête, et indique bien où son corps s’arrête ; il ne voit pas non plus ses yeux. Je jette une éponge sur le plancher, en disant que c’est sa tête, il court après, et se la pose sur le crâne. Réveil et souvenir. Il nous confirme son embarras, et le mal de tête qu’il se donnait pour comprendre où étaient ses yeux du moment qu’il n’avait plus de tête.

Or, on peut avancer avec une quasi-certitude que l’hypnotisé ne s’attachera pas de lui-même à cette contradiction. Voyez le rêve que j’ai rapporté plus haut, où j’étais accroché à un porte-manteau pendant que, d’autre part, je soutenais au visiteur que je n’étais pas à la maison. Bien que, par profession autant que par goût, je ratiocine tout le long du jour, et souvent même la nuit, l’absurdité flagrante de ce rêve ne me choquait pas. (Voir plus loin l’expérience 5 du 6 mai.)

Le somnambule est tout aussi pauvre en actions qu’en idées.

L’autre jour J…., à l’état de somnambulisme, a raccommodé une chemise ; elle a recherché avec soin les moindres trous et les a réparés. Son travail achevé, elle a replié la chemise avec soin, l’a mise derrière elle, puis est restée sur sa chaise avec un air contemplatif, comme si elle se demandait ce qu’elle pourrait bien avoir désormais