Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIII.djvu/313

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
303
analyses. — guyau. L’irréligion de l’avenir

ce qui est de la prière, ce grand adjuvant de la morale religieuse, rien ne démontre qu’elle soit indispensable. L’action tiendra lieu de la prière par amour et par charité ; et l’extase où l’esprit s’abîme dans une exaltation stérile sera avantageusement remplacée par la méditation et la réflexion philosophique.

Il n’y a donc rien dans la religion qui semble pouvoir échapper à la décomposition qui la travaille. Mais, à défaut de valeur intrinsèque, peut-être se maintiendra-t-elle, parce qu’elle est nécessaire à un certain nombre d’esprits. On a soutenu en effet que les intelligences supérieures pouvaient seules se passer de religion, mais qu’il n’en était pas de même ni du peuple, ni de l’enfant, ni de la femme. M. Guyau a consacré à la réfutation de cette thèse trois chapitres (La religion et l’irréligion chez le peuple, chez l’enfant, chez la femme), qu’il est difficile d’analyser, mais qui sont d’un piquant intérêt. On déclare que sans les religions la question sociale emportera les peuples. Mais n’est-il pas étrange de faire ainsi de Dieu un moyen de sauver le capitaliste ? S’il y a une question sociale, qu’on l’étudie. On a dit aussi que la religion était la sauvegarde de la moralité populaire ; mais la plus grande religiosité peut très bien s’allier avec les plus grands crimes. Ce sont souvent les pays les plus catholiques qui fournissent le plus de criminels. Ce qui démoralise les peuples, c’est beaucoup moins l’incrédulité que le luxe des uns et la misère des autres. La religion consolide les mœurs au moyen de la foi, mais ne les crée pas. Si nous avons été vaincus, ce n’est pas, comme l’a dit M. Mathew Arnold, parce que nous aimons trop les arts et les sciences et trop peu Javeh ; c’est que nous avons aimé l’art trop facile et la science trop superficielle. Pour nous corriger de nos défauts, il ne faut pas renoncer à nos vertus, mais les compléter et les épurer. Four ce qui est de l’enfant, l’éducation religieuse, quand elle est exclusive, produit l’engourdissement de la pensée. Elle habitue l’esprit au respect aveugle pour les traditions et à l’obéissance passive ; et une fois que le cerveau de l’enfant a pris ce moule, il n’est plus aisé de le briser ni même de le rendre plus flexible et plus large. Il ne faut donc pas craindre de parler à un enfant de la question de la mort comme on en parlerait avec une grande personne avec les abstractions en moins[1]. Pas plus que l’enfant, la femme n’est vouée à la religiosité. Toutes les qualités de l’intelligence féminine, la crédulité, l’esprit de conservation, le scrupule minutieux peuvent très bien tourner au profit de la science. Tout dépend de l’éducation que lui donne son mari. Quant aux sentiments féminins par excellence, la pudeur et l’amour, ils n’ont pas leur origine dans la religion qui n’y est liée qu’indirectement.

Sur un seul point, la religion conserve l’avantage : elle seule s’est préoccupée du problème de la dépopulation. Le chapitre où se trouve

  1. Voir d’excellentes pages sur l’instruction primaire et sur le parti qu’on peut tirer du prêtre dans l’éducation.