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ANALYSES. — g. le bon. Civilisations de l’Inde

« Nous avons continué, dit-il, à appliquer dans cet ouvrage les principes qui nous ont dirigé dans nos précédents travaux : nous appuyer uniquement sur des documents précis, montrer les transformations successives des institutions religieuses et sociales et les facteurs de ces transformations, étudier les phénomènes historiques comme s’il s’agissait de phénomènes physiques, avoir enfin une méthode et nous défier soigneusement des doctrines. » Ajoutons que dans cette monographie comme dans la première, l’auteur a le mérite de parler de visu du pays dont il retrace la civilisation. Il a visité l’Hindoustan, étudié sur place les monuments et le peuple. Quel homme ayant un peu voyagé ne sait, par son expérience personnelle, qu’une semaine passée en pays étranger en apprend plus qu’une année consacrée à l’étudier dans les livres ? L’impression qui vient des hommes, du pays, des villes, du milieu, des mœurs, d’innombrables petits détails de la vie journalière, l’observation inconsciente et incessante donnent à nos jugements un cachet personnel, un sentiment de la réalité qui ne peut sortir du fatras indigeste de la plus consciencieuse érudition. Rien ne vaut la leçon que nous donnent les choses. Elle l’emporte autant sur les compilations laborieuses, sur « la science livresque », que la réalité l’emporte sur les signes qui la figurent. Du mélange d’abord un peu confus de nos souvenirs recueillis en pays lointain, peu à peu une idée maîtresse se dégage qui garde pour toujours le caractère vivant de ce qui a été vu, non la vie d’emprunt de ce qui a été lu. « Ce n’est que sur le sol même où une civilisation a pris naissance et s’est développée que nous pouvons en pénétrer l’esprit et apprendre à ne pas la juger avec nos idées modernes. Ce ne sera jamais en parcourant les livres d’une bibliothèque qu’un savant européen pourra comprendre et décrire le vrai génie d’un peuple asiatique. L’abîme qui sépare la pensée d’un homme de l’Occident moderne de celle d’un homme de l’Orient est immense… Pour l’Hindou en particulier, les idées et les croyances forment une masse nuageuse aux lignes tellement flottantes et indécises que, dans nos langues latines, pauvres en épithètes, mais précises, le terme manque le plus souvent pour les exprimer. »  

Une bonne partie du livre sur les Civilisations de l’Inde sort du cadre de ce recueil (ethnographie, géographie, histoire, etc.) ; mais les chapitres consacrés aux religions et aux diverses formes sociales qui se sont succédé ou qui coexistent encore dans les diverses régions de l’Hindoustan, présentent un grand intérêt au psychologue et au sociologiste. Nous nous bornerons à quelques points.

La partie du livre qui traite de la civilisation à la période bouddhique (p. 333 et suivantes) nous a paru l’une des plus originales. Les savants ont beaucoup écrit sur cette religion, celle du globe qui compte le plus d’adhérents et qui serait, à leur dire, nihiliste et athée. M. Barthélemy Saint-Hilaire, avec beaucoup d’autres, s’en est étonné et indigné. « Ce culte du néant, dit-il, offre à notre impartiale étude un côté de l’esprit humain que nous n’avions pas aperçu, qui nous repousse par sa fausseté et sa laideur, mais qui n’en est pas moins curieux, quelles que soient la surprise et la douleur qu’il