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PENJON.une forme nouvelle de criticisme

serait ainsi nier ce qu’il y a de meilleur et de plus vrai dans la nature humaine.

Les données de l’expérience ne suffisent donc pas pour constituer la philosophie, pour donner une compréhension véritable, une connaissance complète et suivie des choses ; elles ne font comprendre ni la liaison de la vie spirituelle avec certaines combinaisons et certaines fonctions matérielles, ni la dualité en nous du physique et du moral. La présence en nous d’un élément moral prouve directement, au contraire, que nous possédons des règles ou normes supérieures à l’expérience, et la philosophie suppose d’abord la connaissance de ces normes ou lois fondamentales des choses.

II

Voyons quelle est la norme de la pensée, celle qui préside aux jugements logiques.

Seul, l’homme a conscience de l’opposition du vrai et du faux ; cette conscience s’exprime par cette formule évidente : « La même proposition ne peut pas être vraie et fausse en même temps », ou par celle-ci : « l’affirmation et la négation de la même chose ne peuvent pas être vraies en même temps ». Si l’on s’en rapportait à l’expérience qui nous présente presque partout des opinions opposées sur les mêmes objets, il semble que ces deux propositions seraient elles-mêmes sujettes à contestation ; mais leur certitude est indiscutable et inhérente à la pensée. Toutefois, on voit immédiatement que les deux formules en question ne peuvent pas être l’expression primitive et adéquate d’une loi inhérente à la pensée. D’une part, en effet, elles renferment un rapport de temps, et le temps ne nous est connu que par l’expérience[1]. Elles ne contiennent, d’autre part,

  1. Pour M. Spir, la doctrine de l’idéalité du temps n’est vraie qu’à demi ; en d’autres termes, la réalité du temps n’est pas une pure apparence (comme celle de l’espace), mais elle ne possède pas non plus de vérité absolue. Pour prendre un exemple, nos sensations de la vue, du toucher, etc., nous apparaissent comme des corps dans l’espace. Cette apparence d’un monde corporel n’existe que dans notre représentation et n’a aucune réalité objective. Mais le contraste précisément de cette apparence avec la réalité des faits prouve d’une manière évidente qu’il y a des objets réels de nos connaissances, à savoir nos sensations, qui différent de ces connaissances, puisqu’elles ne s’accordent pas avec elles. Or, nos sensations d’une part, et, de l’autre, nos idées ou représentations existent dans le temps, comme phénomènes ou événements. Le temps a donc une réalité incontestable ; seulement, c’est une réalité mêlée de néant, et qui ne peut exister sans l’illusion et l’apparence. C’est un genre de réalité que nous ne pouvons concevoir, comme le prouve l’antinomie signalée par Kant de l’impossibilité de penser un premier changement et une série infinie de changements écoulés au moment présent. La seule existence concevable pour nous est celle d’une substance située en dehors du temps.