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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

l’action qu’il accomplit ; il s’appelle Zeus (Ζώη) comme cause de la vie ; présent dans l’éther, c’est Athéné ; dans le feu, Héphaistos ; dans l’air, Héra (ἀήρ) ; dans l’eau, Poseidon ; dans la terre, Déméter[1].

Carnéade se moqua de cette théologie physique que les Stoïciens prétendaient substituer à la théologie mythique des poètes et à la théologie civile des politiques. Il put trouver une ample matière à ses plaisanteries dans les étymologies quelquefois singulières qui servaient de point de départ à leur interprétation de la mythologie populaire.

Il critiqua vivement toutes ces interprétations. Armé du sorite, il essaya d’établir qu’il n’y a aucun moyen de distinguer le divin de ce qui ne l’est pas ; qu’il n’y a aucune marque qui nous permette de distinguer la représentation vraie et la représentation fausse. Si Zeus est dieu, disait-il dans une argumentation que Clitomaque admirait beaucoup[2], Poseidon son frère sera dieu aussi, le fleuve Acheloüs sera dieu, de même que le Nil et tout autre fleuve. Si les fleuves sont dieux, les ruisseaux et les torrents seront également des dieux ; mais si les ruisseaux ne sont pas des dieux, Zeus lui-même ne sera pas un dieu. Carnéade faisait le même raisonnement à propos du soleil. S’il est dieu, disait-il, le jour, c’est-à-dire le soleil au-dessus de la terre (ἥλιος ὑπέρ γῆς), sera aussi dieu ; le mois, l’année, qui sont composés de jours, devront être rangés parmi les divinités. Mais l’année n’est pas une déesse ; le soleil n’est donc pas un dieu.

De même, si Aphrodite est une déesse, son fils Amour sera un Dieu ; la Pitié, qui est comme l’amour une modification de l’âme et qui a des autels à Athènes, sera une déesse ; il en sera de même de toutes les autres affections de l’âme. Donc Aphrodite n’est pas une déesse.

Carnéade devait diriger des critiques aussi vives contre les théories épicuriennes sur la divinité ; il ne voulait pas que les Stoïciens attribuassent à Dieu une raison analogue à celle de l’homme, il ne pouvait pas plus accepter les théories anthropomorphiques de ceux qui faisaient des dieux des hommes plus beaux, plus heureux, mais en grande partie semblables à ceux d’ici-bas ; de là les objections moitié sérieuses, moitié plaisantes que Cicéron rapporte dans le premier livre du de Natura Deorum[3].

Carnéade combattait encore sur quelques autres points la physique stoïcienne ; il semblait nier que tout dans la nature ait son genre

  1. Diog., VII, 147. — Cic., de Nat. Deor., I, 15, II, 24.
  2. Sextus, IX, 182 : Ἠρωτηνται δὲ καὶ ὑπὸ τοῦ Καρνεάδου καὶ σωριτικῶς τινες, οὒς ὁγνώριμος αὐτοῦ Κλειτόμαχος ὡς σπουδαιωτάτους καὶ ἀνυτίκωτατους ἀνέγραψεν..
  3. Plutarque, 1069, B, rapporte une plaisanterie de Carnéade sur Épicure.