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PICAVET.le phénoménisme et le probabilisme

combattre plus facilement, que le souverain bien consiste à jouir des premiers avantages que la nature nous fournit (summum bonum esse, frui iis rebus quas primas natura conciliavisset[1]). Il faisait alors remarquer la contradiction de leur théorie, d’après laquelle le choix de ces premiers avantages naturels est le problème le plus important de la morale, tandis que ces avantages eux-mêmes ne sont pas rangés parmi les biens[2]. Il soutenait en outre que, sur ce point, les Stoïciens ne discutaient avec les Péripatéticiens que sur les mots et non sur les choses (non esse rerum Stoicis cum Peripateticis controversiam, sed nominum[3]). Puis, s’adressant aux Stoïciens, et leur rappelant les définitions différentes du souverain bien qu’il faisait toutes rentrer dans un certain nombre de catégories[4], il montrait qu’il était impossible de choisir entre elles celle qui était la plus vraisemblable, parce que les raisons données de part et d’autre lui paraissaient également fortes (quae dicuntur quidem et acuta mihi videntur in utramque partem et paria[5]). Puis, remarquant que la conduite de la vie dépendait tout entière de l’idée qu’on se faisait du souverain bien (omnis ratio vitæ definitione summi boni continetur), il concluait qu’on ne pouvait, pas plus pour la morale que pour la physique et la logique, atteindre à la vérité[6].

Nous savons, en outre, que Carnéade avait attaqué les paradoxes stoïciens. Dans son ambassade à Rome, nous avons vu qu’il n’avait pas oublié sa polémique contre le Stoïcisme et avait renvoyé à son collègue le Stoïcien Diogène, Albinus qui lui reprochait de ne pas voir en lui un préteur, — dans Rome, une cité et une ville. Et il convient de dire que la plupart des propositions qu’on a appelées les

  1. Acad. pr., II, 42, 134. — Cf. de Finib., V, 7, 20 ; Tuscul., V, 30, 84.
  2. Cic., Tuscul., III, 22, 54, d’après Clitomaque. Il semble que cette objection de Carnéade amena Antipater à modifier ce point de la doctrine stoïcienne, en soutenant que ce n’étaient pas les objets eux-mêmes, mais le choix fait entre eux qui constituait un bien.
  3. De Finib., III, 12, 41. Il est curieux de trouver en Carnéade le premier auteur de la théorie éclectique soutenue plus tard par Antiochus.
  4. Carnéade suivait encore sur ce point Chrysippe : « Testatur sæpe Chrysippus tres solas esse sententias que defendi possint de finibus bonorum. » (Acad., II, 45, 138). Il prend pour point de départ la considération de ce qui est propre à solliciter notre inclination (appetitum animi = ὁρμήν), le plaisir, l’absence de douleur, les premiers avantages naturels (prima secundum naturam), voilà les trois motifs qui peuvent diriger nos actions, d’où découlent six déterminations différentes du souverain bien dont quatre seulement doivent être prises en considération, parce que seules elles ont trouvé des défenseurs. (De Finib., V, 6, 78.) — Cf. infra.
  5. Acad. pr., II, 43, 133. Il s’agit d’une question particulière de morale ; mais, d’après ce qui précède, nous croyons pouvoir étendre la proposition à la morale tout entière.
  6. id., 46, 141.