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REVUE GÉNÉRALE.marillier. La suggestion mentale, etc.

tale, d’autant que les théosophes, avec leur amour de l’incroyable, ont plus insisté encore sur les actions que certains hommes pourraient d’après eux exercer à distance sur la matière que sur l’action qu’ils exerceraient directement sur la pensée d’autrui.

III

Tous les faits étudiés par les auteurs qui se sont occupés de la suggestion mentale peuvent se ranger en deux grandes classes : dans la première, nous placerons les phénomènes qui ont été intentionnellement produits par des expérimentateurs ; dans la seconde les phénomènes spontanés qui ont été rapportés et collectionnés par les divers auteurs. MM. Gurney, Myers et Podmore n’ont fait que rappeler dans leur livre les études expérimentales dont la suggestion mentale a été l’objet : ils se sont tout particulièrement attachés à l’examen des phénomènes spontanés. M. Ochorowicz au contraire s’en est tenu presque exclusivement à l’analyse et à la critique des expériences : lui-même en a fait un nombre considérable et les rapporte en grand détail.

À mon avis la voie qu’il a suivie est la bonne : on sait sur quel terrain l’on marche, d’où l’on part et où l’on veut arriver : on peut éliminer un grand nombre de chances d’erreur, et même si l’on n’aboutit pas à des conclusions qui puissent être acceptées de tous, on a du moins fait ce qu’il fallait pour ne pas être sa propre dupe. On peut ne pas interpréter ces faits comme M. Ochorowicz, et ne pas conclure comme lui, mais on est obligé de rendre hommage à sa méthode. Mieux que personne il a compris combien il fallait être en garde contre soi-même et ne pas se hâter d’attribuer à la suggestion mentale des phénomènes qui s’expliquent sans elle. Dans le chapitre qu’il a consacré à la suggestion mentale apparente[1], il a très finement analysé les procédés inconscients qui nous permettent souvent de deviner, sans que nous sachions bien comment, la pensée d’autrui. Un sujet endormi avait les yeux bandés, il reconnaissait toute personne qui lui touchait le dos avec le doigt. Mais « il pouvait entendre tout ce qui se passait autour de lui ; il était chez lui, l’habitude lui rendait familiers tous les bruits possibles des portes, des meubles, du plancher ; il connaissait intimement les huit à dix personnes présentes avant son sommeil ; celles qui ne prenaient pas part à l’expérience à un moment donné, ne se gênaient pas pour échanger quelques mots à haute voix, tandis que les autres recommandaient le silence ; la perception de voix connues et dont il est facile de deviner la direction permet de se rendre peu à peu compte de la position des divers interlocuteurs ; le bruit de déplacements inévitables complète et corrige au fur et à mesure ses idées[2]. » Une autre fois M. Ochorowicz réussit à faire lire à un sujet les yeux fermés plusieurs

  1. De la sugg. ment., pp. 3-54
  2. Ibid., p. 6.