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Cette remarque très juste nous montre que le sujet a compris que l’idée de la suggestion n’est pas suffisante pour que la suggestion s’effectue ; le sujet a bien le désir de se rappeler à l’état de veille ce que je viens de lui dire, mais il a besoin de mon autorité pour assurer sa mémoire ; il m’indique la suggestion à lui donner, mais il a besoin que je la lui donne, parce que mon affirmation la rendra plus énergique. Je m’explique encore de la même façon comment un de mes sujets qui avait des insomnies, me pria un jour, pendant qu’il était en somnambulisme, de lui donner une suggestion de sommeil pour la nuit suivante.

Mêmes observations peuvent être faites dans les suggestions à l’état de veille. M. Beaunis rapporte qu’il dit un jour à Mlle A. E…, au moment où ils sortaient ensemble de chez M. Liébeault : « À propos, vous savez que le Dr Liébeault pendant votre sommeil vous a suggéré que vous dormiriez cinq minutes à trois heures de l’après-midi. » Cette parole ne produisit aucun effet. M. Beaunis est persuadé que s’il lui avait simplement dit : « Vous dormirez cinq minutes à trois heures », elle se serait endormie infailliblement, comme il l’a constaté nombre de fois. C’est que, dans ce cas, l’affirmation aurait dynamogénié l’idée.

De tous ces faits ressort une première conclusion, intéressante pour la théorie de la suggestion : c’est que la suggestion ne consiste pas seulement à introduire dans l’esprit d’une personne l’idée du phénomène à produire ; il faut en outre que cette idée soit intense. Or, ce qui donne de l’intensité à l’idée suggérée, c’est la manière dont on la suggère, c’est le ton de la voix, l’autorité de la personne[1], le mode d’affirmation. Une tournure dubitative, « si vous faisiez telle chose… », produirait un effet bien moins énergique. Il en résulte qu’on ne peut pas expliquer tout simplement le mécanisme d’une suggestion hallucinatoire, en disant que la parole adressée à l’hypnotique éveille, par association d’idées, l’image de l’hallucination ; pour être exact, il faut ajouter que l’intensité de l’image suggérée est en quelque sorte en rapport avec l’intensité de l’impression suggestive, parole ou geste. L’association des idées devient une véritable ligne de force ; on peut la comparer au fil métallique qui transmet la force d’un moteur magnéto-électrique.

Il est important d’insister un moment sur la conception que nous avons du phénomène de l’association des idées. À première vue, rien

  1. M. Pierre Janet raconte qu’un de ses amis réussit à faire des suggestions sur une de ses somnambules, en lui parlant en son nom. Cette expérience est le pendant du fameux mot : magister dixit. C’est la même influence qui agit dans les deux cas,