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sophe, il ne partageait pas ses idées. Ce n’est pas non plus Démocrite qu’il a suivi en écrivant le Trépied, puisque Démocrite mettait la raison fort au-dessus des données des sens.

Suivant une conjecture très plausible de Philippson[1], c’est à Aristote qu’il faudrait faire remonter l’origine de la théorie exposée par Nausiphanes, et reproduite ensuite par Épicure et les empiriques. On rencontre en effet chez Aristote, et presque dans les mêmes termes, la description des trois procédés essentiels de l’empirisme. L’expérience (ἐμπειρία) est pour Aristote le souvenir de plusieurs observations[2]. Vient ensuite l’histoire ; puis l’examen des semblables qui, sans être encore l’induction, la prépare[3] ; enfin l’art (τέχνη) réunit un grand nombre d’expériences. Aristote[4] avait montré que si Démocrite avait voulu être conséquent avec lui-même, il aurait admis que toutes les données des sens sont vraies. Il est possible, comme le croit Philippson, que Nausiphanes se soit le premier approprié ce principe qui devait tenir ensuite une place importante dans la canonique épicurienne.

Peut-être pourrait-on remonter encore plus haut et retrouver même chez Platon[5] des formules curieuses qui donnent à penser que l’idée d’observer les phénomènes et d’en prédire le retour d’après leurs invariables séquences n’était pas étrangère aux fondateurs de la métaphysique. Mais il vaut mieux, semble-t-il, s’en tenir à Aristote : du moins c’est chez lui seulement que nous trouvons les procédés de la méthode d’observation nettement distingués les uns des autres, et désignés par des termes particuliers. Tenons-le donc, malgré la réputation toute contraire qu’on lui a faite, pour le véritable inventeur de la méthode d’observation.

Au surplus, il faut convenir que ni Aristote, ni Nausiphane[6], ni Épicure, ni les premiers empiriques n’ont donné à leur théorie, autant du moins que nous en pouvons juger, le développement nécessaire. Ils ont entrevu, plutôt que connu, la méthode scientifique : ils ne l’ont décrite qu’en termes très généraux ; ils n’ont pas su lui donner la rigueur et la précision sans lesquelles elle ne pouvait pas contribuer sérieusement aux progrès de la science. Si on compare

  1. Diog., IX, 64.
  2. Op. cit., p. 54.
  3. Metaph., I, 1.
  4. Top., I, 16 : οὐ γὰρ ῥᾳδιόν ἐστιν ἐπάγειν μὴ εἰδότας τὰ ὅμοια..
  5. V. Zeller, I, p. 822.
  6. Voyez notamment le passage de la Rép., VII. 516, c. Toute cette question des origines de la théorie de l’induction a été supérieurement traitée par Natorp, Forsch. zur Geschichte des Erkenntnissproblems im Alterthum. Berlin, 1881, p. 149.