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M. d’Eichthal, « représente la pensée dominante du Deutéronome ; il en est, pour ainsi dire, la plus haute expression ; on peut le définir une perpétuelle exhortation à la piété envers le Dieu national. La première moitié de la Collection des lois garde encore avec cette pensée une certaine analogie, puisqu’elle a pour objet l’établissement d’un culte central ; mais il n’en est pas de même de la seconde moitié. Celle-ci n’est, en effet, qu’un recueil de règlements civils, placés sans ordre à la suite l’un de l’autre. Il est bien vrai que l’ensemble offre un caractère de justice et d’humanité tel qu’on le chercherait vainement dans aucune autre législation antique, qui d’ailleurs se rattache intimement à la croyance religieuse professée par les Israélites. Mais il y a loin de là à dire que la collection des lois est le noyau du Deutéronome. C’est bien assez d’y voir une application pratique, et, sous ce rapport, un précieux complément de l’enseignement doctrinal, qui est et demeure l’élément principal du livre. » M. d’Eichthal rappelle également une bonne définition donnée par M. Kuenen : « Le fond du Deutéronome est dans la formule : Chaque Israélite doit aimer Yahvéh son Dieu de tout son cœur et de toutes ses forces. »

Entre le discours (chap.  v à xi) et la législation (chap.  xii à xxvi), on peut donc introduire une séparation. L’un serait un développement oratoire et religieux ; l’autre contiendrait une série de prescriptions applicables tant au culte qu’à la vie civile. Il est de fait que, tandis que le discours proclame l’amour exclusif de Dieu sans stipuler aucune obligation rituelle, la Collection des lois insiste sur la nécessité d’adorer Yahvéh dans un sanctuaire unique (lisez dans celui de Jérusalem). Ce sont deux préoccupations différentes, sinon exclusives l’une de l’autre.

Quant à la date, M. d’Eichthal s’inscrit encore en faux contre l’opinion généralement admise. On a rapproché assez arbitrairement le Deutéronome d’un certain livre de la loi, qu’on dit avoir été merveilleusement découvert dans le temple de Jérusalem au temps du roi Josias. Les imaginations se sont échauffées là-dessus. Ce livre exhumé si à propos était, prétend-on, le produit de tout un mouvement antérieur. Pour assurer la pureté du culte, un parti puissant aurait imaginé de proscrire les cérémonies qui se célébraient dans un très grand nombre de sanctuaires sur les divers points du territoire et de déclarer illégal tout culte pratiqué en dehors du temple de Jérusalem. Cela n’allait pas sans difficulté. On se heurtait à de vieilles habitudes. Pour les briser, les prêtres et les prophètes auraient fabriqué, sous le nom vénéré de Moïse, un livre rempli de menaces et d’adjurations véhémentes, sommant le peuple de se conformer désormais à la volonté divine, qui était la centralisation à Jérusalem de toutes les cérémonies religieuses. Puis on feignit que le livre en question avait été retrouvé miraculeusement. Le roi Josias ne peut résister à la pression exercée sur lui et prend avec énergie la tête du mouvement de réforme religieuse. Ce mouvement du reste n’aboutit pas à des résultats durables et on nous assure que la