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ANALYSES.a. herzen. Conditions de la conscience.

si tout le travail repris pour atteindre cette limite était accompli, si la nature avait épuisé ses ressources et ne pouvait plus avancer. Mais tout ce que nous savons de l’évolution des êtres vivants nous dit au contraire qu’elle n’a aucune limite ; voilà pourquoi la machine inconsciente de Maudsley est aussi impossible que l’indignation de Lewes est inutile… » En fait, nous ne savons absolument rien sur la question et nous ne pouvons même pas discuter utilement le problème de savoir si l’homme sera conduit ou non par l’évolution à l’automatisme. En effet, à supposer que l’évolution des êtres vivants n’eût aucune limite, ce qui se pourrait peut-être contester rien ne prouve, en tout cas, que l’évolution de l’homme ne s’arrêtera pas à un certain point et que l’homme ne se séparera pas de la branche ascendante des êtres pour constituer une espèce fixée ou à peu près, et qui, par une adaptation à peu près complète à des conditions d’existence bornée, arriverait à l’automatisme. Il me semble qu’on peut faire là-dessus toutes les hypothèses et qu’on est dans l’impossibilité d’en justifier complètement aucune. Il est possible cependant que, pour qui étudierait à fond la question, telle ou telle solution parût plus ou moins probable que telle autre.

M. Herzen a joint à l’article dont je viens de parler un appendice où il s’occupe plus spécialement de la conscience du moi et de la personnalité. Il a exposé la question d’une manière intéressante, mais c’est dans son premier article que nous trouvons les documents les plus importants pour la psychologie de la personnalité. M. Herzen y mentionne des observations personnelles qui montrent bien la séparation de la conscience en général de la conscience de la personnalité, et que l’organisme ou le moi peut avoir conscience sans avoir conscience de soi. De telles observations sont très importantes pour l’étude de la genèse de la notion du moi, et de la personnalité elle-même et de la notion que nous en avons.

« Pendant une certaine époque de ma vie, dit M. Herzen, j’ai souffert de fréquentes syncopes et j’ai eu l’occasion d’observer sur moi-même la phénoménologie psychique du retour à la conscience après l’évanouissement. Pendant la syncope, c’est le néant psychique absolu, l’absence de toute conscience ; puis on commence à avoir un sentiment vague, illimité, indéfini, un sentiment d’existence en général, sans aucune délimitation de sa propre individualité, sans la moindre trace d’une distinction quelconque entre le moi et le non-moi ; on est alors « une partie organique de la nature » ayant conscience du fait de son existence, mais n’en ayant aucune du fait de son unité organique ; on a en deux mots une conscience impersonnelle. Ce sentiment peut être agréable si la syncope n’est pas due à une violente douleur, et très désagréable si elle l’est ; c’est la seule distinction possible : on se sent vivre et jouir ou vivre et souffrir sans savoir pourquoi on jouit ou on souffre et sans savoir quel est le siège de ce sentiment… Au milieu du chaos de la première phase… se dessinent peu à peu des différences vagues et obscures ; on commence à voir et à entendre ; mais ce qu’il y a de fort curieux