elle on ne sortirait pas de la simple observation des faits, on ne pourrait les interpréter ni les expliquer. Elle est donc un essai d’interprétation, un commencement de loi, ainsi que Bacon lui-même appelle ses règles provisoires ; ce sont des imaginations, auxquelles on ne demande pas d’être vraies, mais seulement d’être utiles[1].
Toutefois cette partie de sa méthode, que nous nous plaisons aujourd’hui à remettre en lumière, échappa aux contemporains. Descartes goûtait fort, disait-il, l’histoire à la façon de Vérulam, sans aucun mélange d’hypothèse. Les philosophes du siècle précédent avaient fait un tel abus de leur imagination ou même aussi de leur raison, que tout le monde était d’accord pour écarter des recherches scientifiques deux facultés aussi dangereuses ; on n’en attendait rien de bon, et on ne voulait plus se fier désormais qu’à l’observation et à l’expérience. Il importait bien plus, en effet, au progrès de la science de prouver une véritable loi que d’apporter mille conjectures, quelque vraisemblables qu’elles pussent être. Un esprit fertile en fournissait à foison, bonnes quelquefois et le plus souvent mauvaises, aussitôt parues d’ailleurs, aussitôt oubliées ; mais d’établir une vérité qui demeure, de l’établir invinciblement, voilà qui paraissait autrement malaisé. Vers 1647 Pascal eut l’occasion d’exposer les règles qui étaient suivies depuis une quinzaine d’années déjà par les savants de Paris dans leurs discussions, et, parlant des choses douteuses et incertaines qu’on proposait trop souvent pour expliquer les faits, « nous laissons, dit-il, ces choses dans l’indécision, si bien que nous les appelons, suivant leur mérite, tantôt vision, tantôt caprice, parfois fantaisie, quelquefois idée, et tout au plus belle pensée[2] ». En un mot, l’entendement abandonné à lui-même s’était compromis par trop d’aventures, il en demeurait suspect, et on hésitait à lui confier encore sa tâche dans l’œuvre de la science. L’opinion était faite à cet égard, au point que Leibniz dut entreprendre de le réha-
- ↑ Historia naturalis et experimentalis (1622), norma historiæ præsentis :
« Observationes nostras super Historiam et Experimenta subteximus, ut interpretatio naturæ magis sit in procinctu.
« Commentationes et tanquam rudimenta quædam interpretationis de causis, parce, et magis suggerendo quid esse possit, quam definiendo quid sit, interponimus.
« Canones, sed tamen mobiles, sive axiomata inchoata, quæ nobis inquirentibus, non pronuntiantibus, se ofTerunt, præscribimus et constituimus. Utiles enim sunt, si non prorsus veri. »
Le même texte se retrouve dans Abecedarium naturæ avec quelques mots en plus : « Denique tentamenta quædam interpretationis quandoque molimur, licet prorsus humi repentia, et vero interpretationis nomine nullo modo (ut arbitramur) decoranda. » (S., II, 18 et 88 ; ou B., II, 262-263 et 291.)
- ↑ Lettre de Pascal au P. Noël, jésuite, du 29 octobre 1647 (t. III, p. 13 des (Œvres de Pascal, petite édit, in-18. Hachette).