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qu’une expérience décide en faveur de l’une ou de l’autre. Or ici presque tout est de son invention. Bacon donne huit exemples de ce genre. Dans tous on retrouve d’abord les hypothèses que l’esprit a dû construire de lui-même, car la nature ne les fournissait pas toutes faites ; puis les diverses conséquences que l’esprit déduit curieusement de ces hypothèses ; enfin, une expérience qui permet de vérifier l’une de ces conséquences, et qui devient ainsi la preuve décisive de l’hypothèse d’où l’on était parti. On connaît quelques-uns des exemples de Bacon. Pour expliquer le phénomène des marées, faut-il dire que les eaux avancent et reculent tour à tour sur les côtes, poussées par un mouvement qui dépend de la rotation de la terre ou des cieux ? ou qu’elles se soulèvent et s’abaissent alternativement dans toute leur masse, attirées par quelque corps céleste comme la lune ? Bacon recherche les suites de l’une et de l’autre hypothèse, et indique certaines observations à faire pour s’en assurer. La pesanteur vient-elle d’une qualité intrinsèque des corps, ou d’une attraction que la terre exerce sur eux ? Dans le premier cas, elle devrait être toujours la même pour chaque corps ; dans le second, varier à mesure qu’on se rapproche ou qu’on s’éloigne de la masse terrestre ; et Bacon imagine un moyen de le vérifier. Les raisonnements ne sont pas toujours exacts et on trouverait plus d’une chose à y reprendre. Mais ce sont des raisonnements, qui attestent la participation directe de l’esprit à l’œuvre de la science, et font de toutes les expériences qu’il indique autant de preuves à l’appui d’une idée, autant d’expérimentations, au sens rigoureux du mot.

Lui-même se rendit compte, non pas peut-être du rôle joué en tout cela par l’esprit, mais de la place que devaient tenir dans la méthode scientifique ces sortes d’expériences[1]. Il les signale comme les plus lumineuses, et les savants ne tardèrent pas à le voir ; en présence de plusieurs hypothèses contraires, ils cherchèrent toujours désormais, pour couper court à la discussion, une expérience qui décide. L’une des premières qui réussit en ce genre paraît avoir été celle que Pascal imagina en 1648 pour reconnaître si c’est l’horreur du vide ou la pesanteur de toute la masse de l’air qui fait monter l’eau dans les pompes[2]. L’horreur du vide si elle existe, est une

  1. Hist. nat. et exper., norma hisfcoriæ præsentis : « Cum Historia et Experimenta sæpissime nos deserant, præsertim Lucifera illa et Instantiæ Crucis, per quas de veris rerum caiisis intellectui constare possit… » (S., II, 17-18 et 87-88 ; ou B., Il, 262 et 290.)
  2. Herschel dans son Discours of the Sludy of Natural philosophy rappelle cette fameuse expérience comme un des premiers sinon le premier exemple d’Instantia