Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/213

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
ANALYSES.l. dauriac. Croyance et réalité.

une nécessité non nécessaire, et le déterminisme, si on va au fond des arguments, d’ailleurs très spécieux, invoqués par ses avocats, ne peut se présenter qu’à titre de croyance. D’autre part, c’est une illusion de croire avec l’école éclectique que le témoignage de la conscience puisse nous garantir la réalité du libre arbitre. Tout ce que la conscience sévèrement interrogée nous apprend : c’est que nous n’avons pas le sentiment d’être déterminés ; elle ne nous fait pas sentir que nous ne le sommes pas. La liberté est donc comme le déterminisme lui-même un postulat, un objet de libre croyance. Et M. Dauriac sous-entend, sans l’exprimer, que des raisons morales doivent nous décider en faveur du libre arbitre.

Les études suivantes sont consacrées à la Réalité, et sous ces différents titres, le Réalisme du sens commun, Dualisme et Monisme, Genèse du monisme, la Substance, le Phénomène, l’Être et la Loi, examinent les divers aspects du problème tel qu’il apparaît à M. Dauriac.

Cherchant en quoi consiste l’Être, et remarquant d’abord que l’Être suppose le Connaître, M. Dauriac, dans une analyse un peu longue et pénible, est amené à montrer la différence de la connaissance et du discours. Le nom suppose l’idée, mais l’idée à son tour suppose la chose. Stuart Mill, dans un passage connu de sa Logique, nous montre bien que nos propositions ne sont pas des assertions relatives à nos idées des choses, mais aux choses mêmes. Que sont les choses ? Une page souvent citée de M. Spencer nous apprend qu’il y a une différence essentielle entre les choses réelles et les choses imaginaires, et que cette différence correspond à celle des états forts et des états faibles. Le sens commun ici est du même avis que les philosophes. Ce qui lui garantit l’existence des choses réelles qu’il affirme avec tant de confiance et d’énergie, c’est qu’on peut les voir, les toucher, les palper. Entre le rêve et l’imagination, et la veille ou la perception, il fait une distinction naturelle et spontanée qui, au fond, est précisément la même que nous venons de rencontrer chez M. Spencer. Cependant cette théorie de M. Spencer, sauf la différence des mots, est exactement la même que Hume avait présentée en distinguant les impressions et les idées. De prémisses identiques, Hume a tiré une conclusion diamétralement opposée, je veux dire l’idéalisme. Et au vrai, si la distinction du réel et de l’imaginaire se ramène à celle de nos états forts et de nos états faibles, il faut bien dire que nous ne connaissons directement que nos idées. Les choses en ce qu’elles ont de réalité distincte de la représentation nous échappent. M. Spencer est idéaliste sans le savoir, et le sens commun sans le vouloir.

Si la sensation ne nous fournit aucun moyen d’atteindre le réel, s’il est puéril, comme l’avait vu Hume, de fonder la distinction du sujet et de l’objet sur une différence d’intensité des sensations, peut-être la perception nous offrira-t-elle un moyen de saisir directement l’objet. C’est ce qu’ont essayé de soutenir, Reid par une analyse incertaine, et