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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/245

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ROBERTY.l’évolution de la philosophie

elle-même. Et M. Renan aurait également en raison s’il n’avait eu en vue que l’état actuel de la philosophie qui est effectivement aujourd’hui un assaisonnement plutôt qu’un aliment, le côté problématique de toutes les sciences, une aspiration vague à devenir la conclusion, le résultat le plus général de la somme de nos connaissances. Quant à la troisième question, qui concerne l’avenir de la philosophie, elle est longtemps restée sans réponse précise. Des signes nombreux semblent pourtant indiquer que la philosophie sera un jour quelque chose de plus que « l’esprit philosophique » de M. Renan, et même quelque chose de plus peut-être qu’une simple somme de généralités puisées dans toutes les sciences, comme le pensait Comte.

Il est d’ailleurs logiquement et historiquement faux de prétendre que « la philosophie est née d’abord pour elle-même ; qu’elle a ensuite divisé son objet primitif, qui était l’univers entier, et engendré les sciences particulières », auxquelles elle aurait « toujours préexisté à titre de science universelle ». Il y a là une singulière confusion de termes et d’idées. Ce qui a réellement préexisté aux sciences particulières, ce n’est pas le savoir, mais bien son contraire, — l’ignorance combattue d’abord par les moyens assez inefficaces qui ont constitué le plus clair de l’inventaire théologique et métaphysique, et ensuite par les méthodes de plus en plus sûres qui ont créé la série des sciences positives. On est vraiment surpris de devoir toujours démontrer l’évidence même.

La confusion fut facilitée par les termes du langage et leur emploi irrationnel. Ayant constaté, sous le nom de philosophie, la tendance de l’esprit à généraliser et unifier nos connaissances, on se préoccupa fort peu de savoir si elle avait abouti, ou si, par suite de causes très nombreuses et très complexes, elle dut rester à l’état de simple tendance. Prenant, au contraire, l’aspiration pour la réalisation, et le nom pour la chose, on s’habitua de bonne heure à considérer la philosophie comme une véritable création scientifique, comme un fait accompli qui, dès lors, eut sa place marquée au début de l’évolution intellectuelle. Elle devint le germe primordial de toutes les connaissances, leur noyau commun, la science universelle ou totale, dont les sciences spéciales se détachent peu à peu en vertu de la division du travail, et à laquelle elles finissent par s’opposer directement : non pas, dit avec emphase un philosophe contemporain, comme le clair s’oppose à l’obscur, ou le déterminé à l’indéterminé, mais comme le spécial s’oppose à l’universel.

L’erreur est ici trop manifeste pour que nous nous attardions à la combattre. L’esprit humain n’a jamais constaté de contradiction