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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/254

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fatale à laquelle l’agnosticisme voue l’humanité, deviendrait un non-sens flagrant, une absurdité évidente.

Il en résulte encore que l’agnosticisme s’effondrerait d’un coup, si on pouvait démontrer que les problèmes insolubles, les antinomies et les contradictions qu’il accumule comme à plaisir, ne sont que des hypothèses particulières qui ont faussement pris le chemin de la philosophie, au lieu de rester dans la science spéciale, des problèmes mal posés, égarés de prime abord dans un domaine trop éloigné des faits qui leur ont donné naissance. Mais c’est ce qui paraît ressortir aujourd’hui de l’ensemble des connaissances déjà acquises en psychologie aussi bien qu’en sociologie.

Admettons, en effet, qu’il soit scientifiquement établi que les hypothèses universelles du philosophe, les suppositions embrassant l’ensemble des phénomènes, ont toujours pour objet des abstractions pures, c’est-à-dire des réalités d’un ordre très spécial, étudiées par une science ad hoc, la psychologie. Rien de plus facile, dans ces conditions, que d’expliquer et la stérilité de ces hypothèses, et la croyance à leur caractère invérifiable ; car de même qu’il serait inutile de chercher à vérifier une hypothèse chimique, par exemple, à l’aide de faits ou de données sociologiques, il ne peut être que vain et illusoire de vouloir résoudre en philosophie des problèmes que la science n’a pas encore étudiés et dont on ne peut dire, tout au plus, qu’une chose : qu’ils appartiennent à la catégorie des problèmes psychologiques. C’est là une prétention qui prendra fin très naturellement, dès qu’on se convaincra que, depuis ses commencements jusqu’à notre époque, la philosophie a été dupe d’une illusion dont toutes les racines se trouvent dans les vieilles tendances héréditaires qui poussent l’esprit à constamment rapporter à l’ensemble des phénomènes les généralités d’un ordre spécial, mais ayant cela de particulier qu’il est en même temps l’ordre humain.

On finira un jour non seulement par reconnaître la futilité de la recherche des causes générales des phénomènes avant la détermination de leurs causes particulières, mais encore par apercevoir le caractère strictement psychologique des plus vastes hypothèses cosmophilosophiques, si je puis m’exprimer ainsi. Les progrès de la psychologie exacte nous conduiront, d’étape en étape, à ce qui, aux yeux de beaucoup d’esprits contemporains, semble être une impossibilité mentale et morale à la fois. Mais cela veut-il dire qu’on renoncera, définitivement à vouloir atteindre les causes générales des phénomènes ou qu’on se résignera à ne jamais dépasser leurs causes particulières ?