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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/284

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nécessaire pour d’autres explications. Le philosophe se trouve donc obligé de commencer ses explications avec un seul aspect, et de finir avec deux[1]. C’est, on s’en souvient, ce que fait Spencer dans ses Premiers principes et dans sa Biologie : la nature, d’abord une, se double et prend deux faces quand l’animal apparaît. Comment ce second aspect a-t-il pu se produire ? Comment au pur inconscient a pu se surajouter un rayon de conscience ? Est-ce d’en haut qu’est descendu ce rayon, qui éclaire la marche des choses sans servir à la modifier ? Et comment la nécessité a-t-elle pu aboutir à produire du superflu ? La réponse est d’autant plus impossible que Spencer considère la conscience comme d’un tout autre ordre et d’une tout autre sphère que le mouvement ; lui-même avoue que la pensée ne peut et ne pourra jamais se déduire du mouvement, que nous pourrions connaître tous les mouvements présents, passés et à venir de l’univers, sans en déduire la pensée. S’il en est ainsi, le mental ne pouvait être impliqué dans des facteurs qui, par hypothèse, étaient tout mécaniques ; et il n’a pu davantage être effet de causes par rapport auxquelles il est impossible de montrer sa dépendance. Dès lors, quand vous voyez apparaître le sentiment parmi les résultats de l’évolution physique, antérieurement insensible, vous devez comprendre que les limites de vos facteurs primitifs ont été dépassées.

Pour éviter ce coup de théâtre miraculeux, il faut se rejeter sur la seconde hypothèse et supposer un aspect mental sous tous les phénomènes physiques, dans le monde inanimé comme dans le monde animé. Le dualisme s’étend ainsi d’un bout à l’autre de la série des êtres. Mais alors, on comprend moins que jamais l’origine de l’aspect mental. De plus, si le mental accompagne partout le physique, n’est-il pas naturel de croire que les deux séries doivent, en leurs principes originels, former une seule et même série ?

Admettons cependant, sans aucune explication d’origine, l’existence du mental parallèlement au physique ; il faut maintenant en expliquer le développement à mesure que la série physique se développe. Or, ce développement est inexplicable dans l’évolutionnisme des deux aspects, parce qu’il demeure, en vertu même de l’hypothèse, absolument inutile et inefficace. Par exemple, puisque le plaisir et la douleur sont sans action et sans force réelle, comment se fait-il qu’ils se soient progressivement développés au cours de l’évolution ? D’où vient cette grâce inutile du plaisir que nous fait en certains cas la nature, et d’où naît surtout cet accessoire gênant de la douleur, dont la nature aurait bien dû faire l’économie ? S’il y a dans la nature

  1. Voy. Guthrie, On M. Spencer’s unification of knowledge.