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A. FOUILLÉE.l’évolutionnisme des idées-forces

agir sur les muscles. Néanmoins le raisonnement, comme tel, répond au processus cérébral, non au processus « périphéri-musculaire ». Le cerveau reproduit d’ailleurs en petit, dans ses cellules, le processus sensori-moteur, en ce sens qu’il y a en lui une série d’impressions et de réactions motrices, un échange perpétuel entre les cellules. En outre, sous le rapport mental, aucun raisonnement n’est si intellectuel qu’il n’enveloppe : 1o un désir (fût-ce simplement celui de connaître) ; 2o un plaisir (celui d’agir et de comprendre) ; 3o une peine, celle de l’effort ; or, tout ce travail intellectuel est en même temps un travail mécanique. Tout processus cérébral est donc bien corrélatif à des mouvements qui se transmettent, et, conséquemment, il y a toujours choc reçu et choc rendu.

L’élément mental auquel est lié le mouvement est-il le sentiment seul, si bien que noire moteur serait exclusivement la recherche du plaisir ou la fuite de la peine ? En d’autres termes, toute la force est-elle dans l’émotion et aucune dans l’idée ? Ou, au contraire, tout fait de conscience, quel qu’il soit, tend-il à déterminer du mouvement comme à entraîner la volonté ? C’est là une question de haute importance, sur laquelle les esprits se divisent. Bain, par exemple, admet que la loi normale de la volonté et des mouvements qui l’expriment est la recherche du plaisir, mais que trois exceptions sont possibles à cette loi et qu’il existe trois moteurs étrangers au plaisir : l’habitude, la sympathie, l’idée fixe. Stephen Leslie, au contraire, réduit toute idée à de l’émotion latente, qui doit passer à l’acte pour devenir un mobile, et y passer dans la mesure nécessaire pour contre-balancer les autres mobiles : le conflit de la raison et de l’émotion ne serait donc, selon lui, que le conflit de l’émotion latente et de l’émotion actuelle. Enfin, selon d’autres philosophes, comme Sidgwick, c’est le désir et non le plaisir qui meut. De plus, Sidgwick admet que certaines actions peuvent être accomplies en vertu de pures idées. William James admet également qu’une simple idée d’un mouvement peut suffire à produire le mouvement[1].

Les principes psychologiques que nous avons précédemment établis contiennent implicitement notre réponse au problème, car ils ont pour conséquence l’indissoluble union, à des degrés divers, des trois éléments psychiques, — représentation, émotion, appétition, — auxquels répond le mouvement. Supposer un mouvement produit par le sentiment seul, c’est supposer que le sentiment peut en effet

  1. Mêmes discussions en Italie. À propos de là théorie des idées-forces, MM. Poletti et Puglia ont publié d’intéressantes observations, l’un dans son livre intitulé Del sentimento come movente dell'umana azione, l’autre dans son étude intitulée Il sentimento e l’impulso motore.