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A. BINET.mouvements des jeunes enfants

différence fut notée chez les deux enfants alors qu’il prenaient encore le sein. Au moindre bruit qu’on faisait dans la chambre, la cadette cessait de teter pour tourner la tête et regarder ce qui se passait, tandis que l’aînée continuait à teter. J’ignore si l’état de l’attention peut expliquer ce dernier fait, très curieux à plusieurs points de vue : l’aînée a le sommeil moins léger que la cadette ; elle n’est pas réveillée comme cette dernière par un léger bruit ; il semble — qu’on nous passe cette comparaison — qu’elle met une attention plus soutenue à dormir, de même qu’à l’état de veille, elle prête plus d’attention à ce qu’elle fait ; le réveil, à ce point de vue, serait comparable à une distraction ; et comme elle est moins facile à distraire que sa sœur, elle est aussi moins facile à réveiller. Je n’insiste pas sur ce rapprochement, qui peut bien n’avoir aucune valeur ; je me contente d’enregistrer un fait. Revenons maintenant à notre étude de la marche.

Comment les enfants apprennent-ils à marcher ? La marche est-elle une acquisition qui dérive de l’imitation, ou bien résulte-t-elle d’un mécanisme en grande partie héréditaire ? C’est vers cette seconde opinion que M. Preyer incline : « Les débuts de l’art de marcher, dit-il, sont énigmatiques, car il ne semble pas qu’il y ait la moindre raison pour la flexion et l’extension alternative des jambes, au moment où l’enfant arrive pour la première fois à se tenir debout[1]. » Le précédent auteur rapporte, à l’appui, une observation de Champneys qui a vu un enfant de dix-neuf semaines, qu’on soutenait au-dessus du sol, agiter alternativement les jambes.

Je partage volontiers l’opinion de Preyer sur le caractère instinctif de la marche. Ce qui me détermine surtout, c’est ce que j’ai pu observer fortuitement sur un des deux petits enfants dont j’ai parlé plus haut ; il avait environ trois semaines ; on venait de le démaillotter ; sa mère, qui était alitée, le souleva en le tenant sous les aisselles ; les pieds nus de l’enfant touchaient la poitrine de sa mère ; sous l’influence du contact qui se produisit à la plante des pieds, l’enfant esquissa très nettement les mouvements de la marche. Pendant qu’il appuyait un des pieds, le droit, il éleva l’autre, en pliant la cuisse sur le bassin, et la jambe sur la cuisse, puis le posa un peu plus loin, en avant. Ce pied s’appuyait bien manifestement sur les genoux de la mère ; puis, quand il fut bien en place, la jambe droite se souleva à son tour, se plia, s’avança, et l’enfant fit un pas. L’alternance du mouvement des deux jambes était surtout bien marquée. Il arrivait parfois que la pointe d’un pied était fortement dirigée en

  1. L’Ame de l’enfant, p. 225.