Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/36

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est, oui ou non, conforme au droit, et c’est à la morale à nous apprendre si l’intérêt peut jamais primer le droit. Ainsi les mouvements par lesquels individus et sociétés cherchent à satisfaire leurs besoins relèvent tous, inégalement, de l’économique, appelée à dire si ces démarches tendent à la satisfaction maximale — du droit naturel, qui les veut compatibles avec la liberté d’autrui — de la morale enfin, qui demande si elles concourent, ou du moins ne font pas obstacle au but final de la vie : l’unité dans la liberté, la communion spontanée résultant du plein épanouissement des capacités individuelles, ou pour tout mettre en un seul mot : l’amour. La saine pratique exige que sur tous les partis à prendre, les trois disciplines soient interrogées ; il appartient à la morale — qui vient ici se confondre avec la logique — de fixer leurs titres respectifs.

Mais autant il est essentiel de les mettre d’accord dans l’action, autant il importe de les distinguer nettement dans l’abstraction de la théorie. Ce discernement affranchira l’esprit des compétitions violentes où chacune, tirant tout à soi, s’efforce d’absorber les autres et se dénature dans cet effort. Et, en effet, l’on ne tardera pas à reconnaître que chacune ayant partout son mot à dire, n’en possède pas moins une sphère propre où elle se réalise directement avec le secours des autres : le Marché, l’État et cette société des âmes que nous ne savons de quel nom désigner dans une langue où le mot Église réveille l’idée d’une organisation fondée sur quelque autorité étrangère à la conscience et revendiquant un pouvoir de contrainte, mais qui ne marque pas moins le terme de toutes nos aspirations, n’est pas moins la cause finale de tous nos efforts, et ne se reflète pas moins dans toutes les relations et dans tous les actes auxquels nous pouvons attribuer une valeur réelle. La sphère de l’économique se détache de toutes les autres et sa définition ne peut plus rester incertaine lorsqu’on a déterminé sa place dans l’éthique à côté du droit et de la morale, et la place de l’éthique en général à côté de la logique et de l’esthétique dans les sciences de l’esprit. On comprend alors que l’Économique ne saurait avoir pour objet la richesse, mais, comme nous l’avons dit, l’activité de l’homme social tendant à la satisfaction de ses intérêts. La nécessité de contenir l’activité économique dans les limites du droit ressort de la quantité bornée des objets désirables ; son accord foncier avec la morale et le droit, du fait que l’intégrité matérielle des individus est la condition indispensable de leur développement intellectuel et moral nécessaire à la réalisation du but suprême, dont la légitimité ne saurait faire question puisqu’il est la raison de tout.