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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/393

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J. -J. GOURD.un vieil argument

M. Fouillée pour indiquer sa voie à la métaphysique. Entendons par cet océan intérieur non seulement le monde psychique, mais le monde de la conscience, qui comprend aussi le monde physique, et nous pourrions dire que nulle recommandation ne saurait être adressée avec plus de justesse à la philosophie en général. Rien n’est pour nous que dans la conscience et par la conscience : restons-y donc si nous voulons nous rendre compte du mouvement de notre pensée et de ses légitimes exigences. Oui, si les difficultés se sont accumulées et perpétuées autour des notions de substance, de causalité et de finalité, si les questions d’essence et d’existence se sont compliquées et embrouillées, enfin si le vieil argument en faveur de la métaphysique, tiré de l’insuffisance de la science phénoménale, a continué à trouver des défenseurs, c’est en grande partie parce qu’on a négligé de se placer, et surtout de se maintenir fidèlement, au seul point de vue qui s’impose à la réflexion, au point de vue du phénomène, de la conscience. Qu’on procède avec plus de vérité et de rigueur, qu’on étudie attentivement le fait de conscience dans sa pureté, dans son intégrité, c’est-à-dire avant que la métaphysique intervienne avec ses projections et ses adjonctions ordinaires, et bien des choses demeurées obscures deviendront intelligibles. Les lois de la pensée, en particulier, s’éclaireront dans leur nature et dans leur portée. On s’apercevra que, loin de conduire au delà du monde de la conscience, elles n’expriment que les rapports fondamentaux de ce monde où elles trouvent à l’infini leur pleine application. Par cela même, la science dont le programme est de s’enfermer rigoureusement dans les limites de la conscience, paraîtra moins insuffisante, ou plutôt paraîtra parfaitement suffisante, autant du moins que les ressources intellectuelles des savants le lui permettront, pour répondre à toutes les questions théoriques que pose véritablement la pensée. Et c’est ailleurs que la métaphysique devra chercher sa justification.

Ailleurs : c’est, avons-nous déjà dit, dans la direction pratique. Mais encore ici faudra-t-il se garder d’accepter tels quels les procédés et les arguments ordinairement reçus, en particulier ceux qui sont proposés par la criticisme kantien : c’est avec raison que M. Fouillée, dans le même ouvrage qui a fourni le point de départ de cette étude, les a soumis à sa pénétrante critique et les a déclarés insuffisants. Encore ici sera-t-il nécessaire de sonder plus attentivement l’océan intérieur : ainsi seulement la métaphysique trouvera dans la direction pratique les avantages qui lui sont refusés dans la direction strictement théorique.

J.-J. Gourd.