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L. PROAL.responsabilité morale des criminels

réalité, l’auteur[1], « le père, le principe » de cet acte, suivant l’expression d’Aristote ; il n’est que le bras, l’instrument dont on s’est servi. Le véritable auteur du crime est celui qui l’a fait commettre ; c’est lui qui en est seul responsable, ainsi que l’a déclaré la Cour de cassation dans son arrêt du 27 juin 1846.

L’imputabilité cesse dès qu’il n’y a plus liberté morale. M. Lévy-Bruhl se trompe quand il dit que la loi pénale « ne se pose jamais la question de savoir si les hommes ont agi en vertu d’une décision de leur libre arbitre ; que la seule liberté qui lui importe est l’absence de contrainte extérieure… qu’elle définit la responsabilité d’une façon toute objective : la faculté de se représenter d’avance ce qu’entraîne et ce que mérite une action et d’agir en conséquence ». (L’idée de la responsabilité, p. 46, 47[2]) La responsabilité légale exige deux conditions, non seulement la faculté de comprendre la loi et les conséquences de ses actions, mais encore le pouvoir de conformer ses actions à la loi ; en d’autres termes, le discernement et l’absence de toute contrainte extérieure et morale. Un prévenu cesse d’être responsable, aux yeux de la loi, dès qu’il est prouvé qu’il n’a pas agi librement.

Dans toutes les législations, la punition a toujours été attachée à une faute librement commise. Ce principe a été consacré par les lois de tous les peuples. « Il n’y a pas d’acte punissable, dit l’article 51 du code pénal allemand, lorsque son auteur était, lors de la perpétration de cet acte, privé de connaissance ou dans un état mental qui excluait le libre exercice de sa volonté. » L’article 40 de l’ancien code prussien du 14 avril 1851 disait aussi qu’ « il n’y a ni crime ni délit lorsque l’agent était, au moment de l’action, atteint d’aliénation mentale, ou lorsque, par suite de violences ou de menaces, il n’a pu disposer librement de sa volonté ». L’article 71 du code pénal belge déclare « qu’il n’y a pas d’infraction, lorsque l’accusé a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister ». L’article 40 du nouveau code pénal des Pays-Bas, de 1881, s’exprime dans les mêmes termes. D’après l’article 76 du code pénal hongrois du 28 mai 1878, « un acte n’est pas imputable à celui qui le commet en état d’incon-

  1. Hérodote raconte que lorsque Adraste, ayant tué involontairement à la chasse le fils de Crésus, se présenta devant le roi en disant qu’il voulait mourir tant la vie lui était odieuse, Crésus, quoique accablé de douleur, le consola en lui disant : « Tu n’es pas l’auteur de ce meurtre, puisqu’il est involontaire. » (Hérodote, livre Ier § 45.) Il est intéressant de voir un roi barbare s’exprimer comme le plus grand philosophe de l’antiquité.
  2. Dans cette thèse remarquable par le style et l’élévation du sentiment, les idées ingénieuses, subtiles abondent ; les idées justes et les interprétations exactes de la loi sont beaucoup plus rares.