l’intuition. L’intuition est la seule matière possible, non seulement de la pensée scientifique, mais encore de toute pensée quelle qu’elle soit, même de la pensée métaphysique. Un objet de connaissance qui n’aurait rien de commun avec l’intuition serait quelque chose d’absolument inintelligible. Nous pouvons, il est vrai, supposer des réalités dont nous n’avons pas, dont nous n’aurons même jamais une intuition actuelle ; mais ces réalités conservent toujours, quoi que nous fassions le caractère d’intuitions au moins possibles. Une chose qui ne serait pas une intuition possible, serait comme un couteau sans lame, ni manche ; ce serait une chose qui aurait cessé d’être une chose.
Dans l’intuition immédiate, il est un élément qui s’impose dès l’abord à l’attention : c’est la représentation extensive, dont la conscience naïve, guidée par un instinct sûr, fait le monde extérieur. La représentation constituera ce que la philosophie appelle l’objet de la connaissance. La science sera sans doute obligée d’élaborer la représentation, de la transformer même, comme nous le verrons, afin de la débarrasser des contradictions qu’elle contient, et qui, si elles n’étaient pas levées, rendraient impossible la formation d’un système de connaissances vraiment objectives. Mais les représentations corrigées ne deviendront pas des choses en soi radicalement différentes de l’intuition. Ce seront encore des représentations, mais épurées, pour ainsi dire, simplifiées, rendues plus satisfaisantes pour la pensée.
L’objet est donc la partie représentative de l’intuition immédiate de notre conscience. Le sujet est la partie sentante et voulante de cette même intuition. Le sujet ne nous est pas donné avant l’objet par un acte distinct. Le sujet et l’objet sont contenus tous les deux dans ce tout complexe, décomposable seulement par abstraction, que saisit primitivement notre conscience. Ce tout comprend, en effet, outre les éléments représentatifs, des éléments d’émotion et de volonté. Ces éléments sont toujours intimement unis, fondus, pour ainsi dire, les uns dans les autres : dans toute perception, il y a toujours, outre l’image perçue, une émotion, quelquefois il est vrai à peine sensible, et un acte de l’esprit, un acte de volonté par lequel cette image est aperçue. C’est la pensée qui, par abstraction, sépare ces deux facteurs de nos états intérieurs et fait, de l’un, l’objet, de l’autre, le sujet. L’objet et le sujet sont donc deux abstracrions et la pensée est, toujours dupe d’une illusion quand elle prétend transformer ces abstractions en réalité, en choses en soi, indépendantes l’une de l’autre et d’essence radicalement différente. Le réalisme métaphysique, sous toutes ses formes, résulte de la tendance naïve qui nous porte à hypostasier nos concepts. Les choses en soi des