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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/542

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réelle, et le voir dans l’espace où il n’est pas. « C’est une psychologie grossière, dit M. Bergson, dupe du langage, que celle qui nous montre rame déterminée par une sympathie, une aversion ou une haine, comme par autant de forces qui pèsent sur elle. Ces sentiments, pourvu qu’ils aient atteint une profondeur suffisante, représentent chacun l’âme entière, en ce sens que tout le contenu de l’âme se reflète en chacun d’eux » (p. 126). À la conception mécaniste du moi, il faut en substituer une dynamique. « Le mécanisme auquel l’associationnisme s’est condamné par avance n’est qu’une représentation symbolique…Il ne saurait tenir contre le témoignage de la conscience, qui nous présente le dynamisme interne comme un fait. »

Symptôme intéressant : la psychologie associationniste qui, il y a dix ans encore, jouissait d’une si grande faveur, est vivement attaquée de divers côtés. Personne ne dirait plus aujourd’hui, avec Stuart Mill, que la loi d’association des idées est en psychologie ce qu’est en astronomie la loi d’attraction universelle. Cette loi est simplement une hypothèse, qui a été commode pour la classification et la description des faits psychologiques. Elle suppose que ces faits sont distincts les uns des autres, qu’ils constituent des sortes d’unités séparables, au moins par l’abstraction, et que le problème est de voir comment ces unités s’attirent, se joignent et se coordonnent. M. Boutroux appelle cette hypothèse l’atomisme psychologique, et la fait remonter à Locke. Or toute, la thèse de M. Bergson va à démontrer l’insuffisance, ou, pour mieux dire, le mal-fondé de cette hypothèse, puisque, selon lui, l’âme tout entière est dans chaque état de conscience profond, puisque les faits psychologiques ne se juxtaposent pas, mais se pénètrent, puisqu’enfm la vie de l’esprit n’est pas un mécanisme, mais un progrès dynamique. Une critique analogue de l’hypothèse associationniste se trouve dans un très remarquable article (Psychology) de l’Encyclopædia britannica. Dans ce travail, M. James Ward explique qu’il ne faut point considérer les faits psychologiques « comme des îlots séparés les uns des autres par des bras de mer ». Ils ne forment point des chaînes dont ils seraient les anneaux, ni des agrégats dont ils seraient les éléments, comme les atomes composent la molécule. Ils sortent les uns des autres par voie de différenciation progressive et pour ainsi dire d’épanouissement. C’est le « progrès dynamique » dont parle M. Bergson.

En d’autres termes, la psychologie, science encore dans l’enfance, demande, par un emploi inévitable de l’analogie, une hypothèse fondamentale à des sciences voisines, sciences de faits comme elle, mais plus avancées. Cette hypothèse, elle l’a empruntée depuis Locke aux sciences physiques, qui dès le xviie siècle étaient en possession de leur méthode. Elle a conçu son objet comme la physique conçoit le sien : de là l’atomisme psychologique. Mais dans notre siècle les sciences biologiques et historiques ont fait à leur tour des progrès considérables. Elles ont leur méthode propre ; elles considèrent les