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g. sorel. — contributions psycho-physiques

connaissance ; M. Taine a parfaitement reconnu que « l’analyse, au lieu de combler l’intervalle qui les sépare, semble l’élargir à l’infini[1] ».

Cette méthode psycho-physiologique est aussi dangereuse pour le naturaliste que pour le philosophe ; elle conduit le premier à transporter dans une série expérimentale des constructions arbitraires et boiteuses, engendrées par des rêveurs, qui veulent tout expliquer. C’est ainsi que les thèses sur les localisations ont pu avoir tant de vogue au commencement du siècle et se maintenir encore aujourd’hui, sous différentes formes atténuées.

La célèbre erreur des anciens sur le rôle du cœur provenait de cette préoccupation psycho-physiologique. Aristote avait parfaitement raison quand il reconnaissait le cœur comme principe psychophysique[2] de la sensibilité ; cet organe répercute, en effet, d’une manière très exacte et très fidèle les moindres effets de l’excitation. Mais il se trompa grossièrement quand il fit de cette observation judicieuse et féconde, au point de vue de l’étude expérimentale des sensations, la base d’une théorie physiologique.

Fechner, par une intuition de génie, proclama un principe tout à fait opposé à celui de la science de son temps[3] ; il affirma l’existence d’une loi générale reliant les phénomènes extérieurs et les appréciations que nous en formons. Il rejeta ainsi tout le medium physiologique et affirma la possibilité d’étudier les sensations sans hypothèses.

Cette théorie a donné lieu à toutes sortes d’objections. On a soutenu que la formule de Fechner était un simple jeu de l’esprit, qu’elle n’avait pas de valeur pratique, qu’elle était contredite par l’expérience. Tout cela ne signifie pas grand’chose et ne touche pas au principe : nous croyons, nous-même, que la loi logarithmique n’a point d’applications directes ; nous la regardons comme un symbole et non comme l’expression de la science[4].

  1. Intelligence, 3e édition, t.  I, p. 323 M. Taine se tire de la difficulté en tombant dans une erreur qui rappelle les anciens romans métaphysiques ; il propose de regarder les deux processus comme étant identiques au point de vue objectif et distincts seulement par le double point de vue auquel nous nous plaçons.
  2. Le Dr Letourneau (Biologie, p. 460) appelle psychomètre l’appareil du Dr Mosso, qui sert à étudier la circulation et à mesurer ses variations. Ce nom n’est pas trop mal choisi
  3. Nous distinguons toujours soigneusement la loi de Weber et celle de Fechner ; on ne peut les ramener l’une à l’autre que par le plus étrange des paralogismes ; Wundt, lui-même, commet cette erreur. Par un heureux hasard, comme il n’en arrive qu’aux hommes de génie, la loi de Fechner, toute fausse qu’elle puisse être, a donné naissance à une science nouvelle.
  4. La formule symbolique de Fechner a eu des résultats positifs fort utiles ; elle a vulgarisé la notion du seuil, elle a permis de reconnaître l’existence de