route ; et dès lors on peut trouver explication à tout, supposer dans le fond de notre âme des puissances mystérieuses pour résoudre les problèmes les plus compliqués, et ramener nos sentiments esthétiques à des comparaisons que nous serions incapables de faire d’une manière naturelle.
IV
Rien n’est plus vague que le sentiment du beau ; nous allons essayer de l’analyser dans la musique, parce que cet art est le plus simple et le plus connu.
Pour les modernes, la musique n’a plus l’importance morale que lui attribuaient les philosophes grecs ; c’est pour nous une distraction, un jeu, sans attaches solides avec l’entendement ou avec l’éthique. Cette manière de voir s’est tellement vulgarisée qu’elle sert de base aux jugements du plus grand nombre sur tous les genres de production artistique ; pour beaucoup de philosophes, même, tout art n’est qu’un jeu, idée que nous combattons comme indigne d’un esprit sensible aux charmes des chefs-d’œuvre.
Dans le jeu, tout dépend du goût, c’est-à-dire d’un ensemble de préjugés, de rapprochements artificiels, de décisions arbitraires, contradictoires le plus souvent, échappant toujours à l’analyse[1]. « Un malheur aujourd’hui dans les arts, dit Viollet-le-Duc, et particulièrement dans l’architecture, c’est de croire qu’on peut pratiquer cet art sous l’inspiration de la pure fantaisie et qu’on élève un monument avec cette donnée très vague qu’on veut appeler le goût, comme on compose une toilette de femme[2]. »
La mode joue le plus grand rôle dans les jugements portés sur les œuvres musicales : nous avons peine à comprendre le succès des opéras qui ont fait les délices de nos pères ; on rencontre encore aujourd’hui des gens, conservateurs des bonnes traditions, qui regrettent le temps où la musique d’Auber était préférée à celle de Mozart. On ne peut invoquer ici une évolution ; car à cette époque toutes les grandes productions de la musique classique avaient vu le jour.
Il n’y a pas à raisonner avec des gens qui vous déclarent qu’ils repoussent une œuvre au nom de leur goût personnel : cette absurdité est une des belles applications du libre arbitre ; on ne peut