Nous sommes tous très sensibles à l’influence du rythme ; on sait que les représentations rythmées tendent toujours à prendre une place d’honneur dans notre conscience, ce qui revient à dire qu’elles en chassent les autres : c’est ainsi que les diverses causes de distraction et les bruits (inhérents souvent à l’exécution musicale) semblent s’évanouir au contact de l’harmonie.
La musique possède donc un pouvoir tout à fait spécial sur notre personne ; elle est dominatrice de sa nature et exclusive : lorsqu’elle est employée convenablement, elle absorbe toute l’étendue de la conscience.
Nous ne pouvons pas facilement supporter la moindre absence de notre faculté raisonnante ; dès qu’elle est engourdie, nous sentons se produire en nous des troubles profonds. Si nous sommes abandonnés à nous-mêmes, nous nous trouvons possédés par une puissance irrationnelle et irrésistible, qui se livre à des jeux démoniaques[1]. D’ordinaire cette affection se traduit par un langage déréglé et souvent obscène : on observe ce fait très souvent dans les séances spirites, lorsqu’on fait tourner des tables. On sait que, de tout temps, l’obscénité des paroles a été regardée comme une des marques de la présence du démon ; c’est encore pour cette raison que des théologiens savants (comme M. Méric, par exemple) attribuent au démon le pouvoir de faire danser les tables.
Cet exemple montre quel effet grave peuvent produire l’attention portée exclusivement sur quelque chose et l’abandon de tout raisonnement durant quelques instants. La commotion produite par la musique est bien plus profonde ; on sait comment les Aïssaouas se servent de ce moyen pour provoquer le délire[2]. Il nous semble inutile d’insister.
C’est par la même raison que la musique peut calmer certains aliénés ; elle s’empare complètement d’eux, fixe leur attention et arrête le cours de leurs idées. En résumé il n’y a qu’une seule règle pour les deux cas : la musique, par la puissance propre aux représentations sonores rythmées, s’impose tyranniquement à l’individu, l’enchaîne et l’empêche de continuer son travail intellectuel.
- ↑ Les phénomènes de possession ont été toujours le scandale des spiritualistes : les expériences des hypnotiseurs modernes les ont amenés à admettre plusieurs personnes qui se succèdent ; cette lanterne magique est tout à fait amusante.
- ↑ Nous devons cependant faire observer que la musique semble impuissante à amener ces malheureux à l’état final : ils y parviennent par de rapides mouvements de tête. Nous avons vu souvent des femmes nerveuses provoquer par le même procédé de violentes attaques, après avoir éprouvé un premier choc, à la suite d’une contrariété.