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g. sorel. — contributions psycho-physiques

cette condition indispensable ; une pastorale, tout ce qui rappelle les courses à travers bois et campagnes, seront choses blessantes dans une église ; les morceaux empruntés aux opéras résonnent comme un cri sacrilège au milieu de l’office ; par une liaison naturelle, les œuvres composées dans la forme dramatique sont encore malséantes, parce qu’elles rappellent trop le siècle. De là vient que si peu de maîtres ont pu composer pour les églises, après avoir eu de grands succès au théâtre.

Beaucoup des œuvres religieuses modernes choquent encore parce qu’elles s’adressent trop aux dilettanti : des œuvres de goût ne peuvent s’accorder avec la solennité mystérieuse de l’église. Comment pourrait-on demander à l’intelligence d’abdiquer volontairement ses droits, alors qu’on la sollicite à suivre une composition compliquée ?

Ces principes ont été ceux des grands liturgistes ; ce n’est pas sans raison que l’Église s’obstine à conserver un système musical particulier, malgré les inconvénients qu’il peut présenter : il est, en effet, essentiel de ne négliger aucun moyen accessoire pour obtenir la complète autonomie de l’harmonie religieuse. Presque partout les bons esprits ont reconnu les inconvénients graves qui résultaient des changements arbitraires apportés dans les méthodes et les usages traditionnels ; ils ont combattu les malheureuses innovations introduites par les auteurs modernes et ont cherché à mieux accuser que jamais le caractère propre de la musique ecclésiastique.

On a souvent contesté au protestantisme la possibilité d’avoir un système musical ; le temple est un simple lieu de réunion ; le pasteur est un docteur ; il n’y a aucun mystère ; les chants des fidèles s’adressent à un Dieu quelque peu métaphysique ; les psaumes parlent une langue qui n’a plus de sens que pour l’archéologue[1]. Dans ces conditions la musique religieuse perd une grande partie de sa raison d’être ; elle n’est plus l’auxiliaire du liturgiste. Si elle veut prendre un empire sérieux sur les âmes, elle est obligée de forcer sa nature, d’aller jusqu’au bout de la puissance harmonique ; mais alors elle n’est plus un régulateur ; elle peut provoquer un ébranlement dangereux et fatal pour des individualités portées au mysticisme.

(La fin prochainement.)
Georges Sorel.

  1. Ce défaut n’existe pas, au même degré, dans la liturgie catholique, parce qu’elle offre des symboles tangibles.