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reconnaître la différence objective des deux classes de faits que présente la nature humaine. La question est sérieuse et réclame une étude attentive.

Le mardi 7 décembre 1886, M. le professeur Gautier disait, dans la première leçon de son cours de chimie biologique : « La sensation, la pensée, le travail d’esprit n’ont point d’équivalent mécanique, c’est-à-dire qu’ils ne dépensent point d’énergie[1]. » L’affirmation avait une grande portée dans la bouche d’un des professeurs de la Faculté de médecine de Paris ; elle ne pouvait pas passer inaperçue, aussi a-t-elle soulevé une vive discussion[2]. M. Richet a répondu : « Assurément nous sommes bien loin de pouvoir établir en mesure précise l’équivalent du travail intellectuel et d’une action chimique ; mais il est légitime, de par les nombreuses observations faites, d’admettre cette hypothèse vers laquelle convergent toutes les vérités connues jusqu’à ce jour[3]. » Quelles sont les observations faites ? Les voici : « Tout ce qui a été fait sur les transformations chimiques ou les phénomènes thermiques de cause psychique tend à prouver que l’exercice de la pensée, c’est-à-dire l’acte intellectuel, correspond à une certaine activité chimique[4].  » Parfaitement. Le fait de la concordance ou de la concomitance des deux ordres de phénomènes est certain ; mais la concordance peut avoir heu pour des phénomènes de natures différentes, tandis que l’équivalence ne peut avoir lieu qu’entre des phénomènes de même nature auxquels on peut appliquer une mesure commune. Où sera la commune mesure pour les phénomènes psychiques et pour les mouvements de la matière ?

Toute équivalence s’exprime par des équations. Quels sont les éléments dont dispose la science, pour établir des équations relatives à la matière et à ses mouvements ? Il n’en existe que quatre : le volume des corps, c’est-à-dire la partie de l’espace qu’ils occupent, leur masse appréciée par la quantité de la résistance, la direction du mouvement et sa vitesse. Que les mouvements soient de translation, de rotation, d’ondulation,… que la matière soit conçue comme formée d’éléments impénétrables ou d’éléments indéfiniment compressibles, il n’importe ; on ne pourra jamais faire entrer dans les équations que les idées géométriques, relatives au

  1. Revue scientifique du 11 décembre 1886, p. 738.
  2. Voir dans la Revue scientifique des articles de MM. Richet (18 décembre 1886), Gautier (1er janvier 1887), Richet (15 janvier 1887), Herzen (22 janvier 1887), Pouchet (5 février 1887), Adrien Naville (5 mars 1887), Châuveau (4 février 1888).
  3. Revue scientifique, 18 décembre 1886, p. 789.
  4. Ibid., p. 788.