notre expérience ordinaire (je reviendrai sur ce sujet), l’esprit ne fonctionne jamais à l’état d’isolement. Le dualisme cartésien est faux en tant qu’il admet la séparation du corps et de l’esprit ; il demeure et demeurera éternellement vrai en tant qu’il affirme la distinction de ces deux éléments inséparables de l’existence concrète de l’homme. Telles sont les données vraies de la science. Que faut-il penser de l’affirmation que la science produit le matérialisme ?
Dans un grand nombre de cas, le matérialisme se présente comme la déduction d’une conception a priori. Le baron d’Holbach nous livre le secret des procédés de sa pensée en affirmant, au début de son ouvrage, que l’univers ne renferme que de la matière et du mouvement. Il ne faut qu’un faible degré de logique pour déduire de cet axiome l’affirmation qu’il n’y a de réel dans l’homme que le corps. M. Hæckel, abordant la question de l’origine des espèces, dira bien que « le transformisme repose sur l’ensemble des phénomènes biologiques[1] », mais lorsqu’il expose directement sa pensée fondamentale, il désigne le transformisme comme l’un des éléments d’une théorie générale qu’il définit ainsi : « La théorie de l’évolution au sens le plus large, en tant, que conception philosophique de l’univers, soutient qu’il existe dans la nature entière un grand processus évolutif un, continu et éternel, et que tous les phénomènes de la nature sans exception, depuis le mouvement des corps célestes et la chute d’une pierre, jusqu’à la croissance des plantes et à la conscience de l’homme, arrivent en vertu d’une seule et même loi de causalité ; bref, que tout est réductible à la mécanique des atomes. Conception mécanique ou mécaniste, unitaire ou moniste du monde, ou, d’un seul mot, monisme[2]. » Il ne peut donc y avoir de réel dans l’homme que les faits dont la mécanique des atomes fournit l’explication. Dans ces deux cas, celui du baron d’Holbach et celui de M. Hæckel, nous avons affaire à un a priori non dissimulé. Il est plus intéressant de s’adresser aux savants qui pensent que le matérialisme est le résultat de leurs études expérimentales, et qui affirment au nom de ces études l’identité des phénomènes psychiques et des phénomènes de la matière. Il n’y a que deux manières d’affirmer cette identité. Il faut dire que la matière et ses mouvements ne sont que des pensées de notre esprit ; c’est un idéalisme assez innocent, et qui n’aura jamais qu’un petit nombre d’adeptes ; ou bien il faut dire que nos sensations, nos sentiments, nos volitions, tous les actes