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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/646

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L’oubli du moi entraîne l’attribution indue d’éléments subjectifs aux faits objectivement constatés. Il est fort intéressant d’étudier le mécanisme de l’attention comme l’a fait M. Ribot[1]. II faut seulement éviter de confondre les conditions et les manifestations physiques de est état psychique avec cet état lui-même qui ne saurait être attribué à la matière. Rien de plus impropre, de plus contraire aux exigences d’une science sérieuse que de dire avec le docteur Luys : « l’élément nerveux est attentif, la cellule cérébrale devient attentive[2] ». Dans le Lac de Lamartine le flot devient attentif, mais personne n’a la naïveté de prendre au sens propre des mots cette figure poétique. Or la cellule nerveuse, en tant qu’organisme purement matériel, n’est pas plus capable d’attention que l’eau du lac du Bourget.

La préoccupation exclusive des phénomènes physiologiques, qui laisse dans l’ombre le moi, siège de l’intelligence et de la volonté, produit enfin une grave confusion d’idées : celle entre les conditions de la manifestation d’un pouvoir et ce pouvoir lui-même. La question a été fort bien élucidée par Claude Bernard. Il observe que certains états de l’organisme détruisent les manifestations du libre arbitre, comme c’est le cas dans la folie, par exemple. Il en conclut qu’il existe des conditions organiques qui seules permettent à la liberté d’entrer en exercice[3]. Mais il est évident que ces conditions de l’exercice possible du pouvoir libre ne constituent pas ce pouvoir. Pour que les rayons du soleil reparaissent après un ciel obscurci, il faut que le vent ait chassé les nuages ; mais le vent qui chasse les nuages n’est pas la source de la lumière.

Si l’esprit ne se manifeste que sous certaines conditions organiques, comment concevoir son existence lorsque ces manifestations sont supprimées ? Pour répondre à cette question la psychologie peut emprunter des lumières à la physique. Descartes, en partant d’une conception à priori, avait affirme le maintien de la même quantité de mouvement dans le monde, quantité qui s’exprime par la formule (la masse multipliée par la vitesse). Leibniz a affirmé que la quantité qui demeure constante n’est pas celle du mouvement, mais celle de la force vive qui s’exprime par la formule 2 (la masse multipliée par le carré de la vitesse). La force vive paraît bien en quantité égale dans les diverses transformations du mouvement réalisé, mais on ne peut établir la conservation de l’énergie qu’en admettant l’existence de forces non manifestées et demeurant à

  1. Psychologie de l’attention, Paris, F. Alcan, 1889.
  2. Le cerveau et ses fonctions, 2e édition, G. Baillière, 1876, p. 172 et 175.
  3. Leçons sur les phénomènes de la vie commune aux animaux et aux végétaux, t.  I, p. 61 et 62.