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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/651

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ern. naville. — science et matérialisme

à un seul ordre de phénomènes, et qui s’impose ensuite indûment comme un a priori incompatible avec les données d’une science complète. Ce n’est assurément pas l’observation qui permet d’affirmer que « la pensée est un phénomène vibratoire de même ordre et de même nature que tous les phénomènes vibratoires connus jusqu’ici[1] », puisque l’observation établit que les mouvements de la matière et la plus simple des sensations offrent une dualité irréductible que l’esprit systématique seul permet de méconnaître.

On a souvent dit aux matérialistes : « Vous ne voyez qu’un seul ordre de phénomènes, ceux qui sont l’objet des perceptions sensibles, et vous en oubliez un autre : l’ordre des phénomènes qui sont l’objet de la perception interne que l’esprit a de lui-même et de ses modes. » On peut leur faire une réponse plus directe encore et leur dire : « Quelle idée avez-vous de cette matière, à laquelle vous prétendez réduire toute réalité ? L’existence des corps étrangers vous est révélée par leur résistance au mouvement de vos organes ; et l’existence de votre corps propre vous est révélée par sa résistance à votre effort. C’est donc par l’acte de la volonté que vous acquérez l’idée des qualités essentielles des corps : la forme et le mouvement. Ces qualités essentielles existent pour les sourds, pour les aveugles, pour des hommes privés du goût ou de l’odorat. D’où vous vient l’idée des autres propriétés des corps : la lumière, la couleur, etc. ? Des rapports établis entre votre faculté de sentir et les mouvements de la matière externe, transformés en mouvements de votre système nerveux. Sans l’être capable de sentir il ne resterait que les mouvements qui sont la condition objective des sensations. C’est donc par la sensibilité que vous acquérez l’idée des propriétés secondaires des corps. D’où vous vient enfin l’idée des lois du mouvement au moyen desquelles vous croyez pouvoir tout expliquer ? Ce n’est par aucun des sens que nous percevons les mathématiques, qui sont la base de la mécanique. C’est donc par l’intelligence que vous acquérez l’idée des lois de la nature.

Donc, dans la seule considération de la science de la matière, on voit l’esprit se manifester dans ses trois fonctions : volonté, sensibilité, intelligence, et l’on peut formuler cette affirmation qui acquiert un degré de certitude proportionnel au degré d’attention qu’on lui accorde : Si la matière existait seule, le matérialisme n’existerait pas.

Ernest Naville.

  1. Revue scientifique du 15 janvier 1887, p. 84.