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Page:Revue philosophique de la France et de l'étranger, XXIX.djvu/676

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douter que le crayon est à gauche ; mais de suite, dès les premiers mouvements, elle s’arrête embarrassée et me dit : « Cela ne marche pas, vous avez dû vous moquer de moi et mettre le crayon dans la mauvaise main. »

Ce dernier détail nous montre qu’elle peut encore reconnaître ses mains en les voyant ou en les sentant fonctionner. Quand elle se met à son travail de couture, il paraît qu’elle prend son aiguille au hasard d’une main ou de l’autre : elle essaye de coudre, mais très peu, car elle sait par expérience que l’on va se moquer d’elle et change bien vite son aiguille de main, si la couture ne marche pas. Quand elle est dans la rue et qu’on lui dit de tourner à droite ou à gauche, elle ne se met plus à pleurer comme autrefois, car elle a trouvé un système. Elle n’ôte pas ses gants pour voir sa bague, elle essaye d’une main, puis de l’autre de faire le signe de la croix. La main qui marche le mieux doit être la main droite.

Nous voyons ainsi qu’il n’y a aucun trouble du mouvement lui-même qui se fait dans les conditions normales. Il n’y a qu’un trouble de localisation qui se présente exactement le même dans la motilité et dans la sensibilité. Cela ne doit pas nous surprendre, car nous connaissons bien le parallélisme étroit de la sensation et du mouvement qui se manifeste ici d’une manière nouvelle.

Pouvons-nous expliquer psychologiquement ce phénomène/ Cela est peut-être plus difficile qu’il ne semble au premier abord, car les philosophes n’ont guère daigné s’occuper du côté droit et du côté gauche et ne nous ont pas appris grand’chose sur leur distinction. J’ai pensé d’abord que cette distinction était facile et se faisait même par la vue, puisque dans une salle de dissection on reconnaît parfaitement au premier coup d’œil, même en les voyant isolés, un bras droit ou un bras gauche. Cependant cela ne me semble plus exact : l’élève d’anatomie reconnaît un membre ou un os en le mettant en position sur un sujet imaginaire qu’il place devant lui et il compare ensuite les membres de ce sujet aux siens propres qu’il connaît déjà. Je comprends bien que M… n’ayant plus le sentiment du côté droit et du côté gauche ne reconnaisse pas sa main par la vue sans le recours d’un signe accessoire. S’il en est ainsi, à quoi tient cette distinction et quel est le phénomène altéré chez notre sujet ? Il me semble que l’on pourrait peut-être présenter, avec toutes réserves, trois hypothèses qui se complètent l’une l’autre et qui doivent renfermer une partie de la vérité.

Évidemment nous avons recours dans certains cas, pour distinguer les deux côtés, à un procédé analogue à celui qu’emploie notre sujet. Le bras droit est pour nous le bras qui remue plus facilement, le bras qui tient le crayon, le bras qui écrit. Cependant nous ne procédons pas comme M… et nous ne cherchons pas h écrire dans la rue pour distinguer les côtés. C’est que M… a besoin pour faire cette distinction d’exécuter réellement les mouvements, de les sentir et de les voir, tandis que nous nous contentons de faire cet essai en imagination : le