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L’HOMOGÉNÉITÉ MORALE


Depuis saint Paul et Racine bien des psychologues ont constaté le fait de la multiplicité morale de l’homme. Les psychologues contemporains vont même plus loin que leurs devanciers, ils découvrent dans un seul homme un grand nombre de personnalités latentes, de personnages tout prêts à entrer en scène. M. Ribot nous a décrit les maladies de la personnalité[1], l’an dernier M. Paulhan[2] et M. Pierre Janet[3] nous expliquaient la multiplicité des personnages, et tout récemment M. Bergson a, dans les pages les plus remarquables peut-être de sa thèse[4], insisté sur deux aspects du moi qu’on avait avant lui fort peu distingués.

Le fond psychologique de notre nature est donc essentiellement hétérogène et contradictoire. Il semble cependant que le souci constant des moralistes ait été d’enseigner à l’homme à s’accorder avec lui-même, à établir en lui une homogénéité morale. Nous voudrions simplement rechercher ici à quelles conditions l’hétérogénéité constatée par les psychologues peut céder la place à cette homogénéité qui est le but des efforts des moralistes. Pour cela nous devons d’abord tâcher de réduire les éléments divers qui constituent notre personnalité à un petit nombre de systèmes. Nous verrons après quel est celui de ces systèmes qui peut servir de centre à tous les autres et permettre ainsi la constitution d’une personnalité véritablement homogène.

Que ce résultat soit désirable, c’est ce qui ne semble ni contestable ni même contesté. Si l’homme est un être raisonnable et si la logique est la partie constitutive de sa raison, il ne sera heureux que lorsque ses actes ne se démentiront pas les uns les autres ; si l’homme est un être social, il ne sera heureux que lorsque ses actes ne s’opposeront pas à ceux des autres hommes ; par conséquent, la

  1. In-18, Alcan, 1885.
  2. L’activité mentale et les éléments de l’esprit. In-18, Alcan, 1889, pp. 201-215.
  3. L’automatisme psychologique. In-8o, Alcan, 1889, præsertim pp. 117-137.
  4. Essai sur les données immédiates de la conscience. In-8o, Alcan, 1889, pp. 96-105.