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jusqu’aux plus complexes, à travers les alternatives de tradition et d’invention qui en sont comme le rythme. L’ensemble de ces trois études forme la Technologie générale. Elle est symétrique dans le domaine de l’action à la logique dans le domaine de la connaissance, car celle ci observe de même et classe les sciences diverses dont elle détermine ensuite les conditions ou les lois, dont elle retrace enfin le développement ou l’histoire : et les sciences sont des phénomènes sociaux comme les arts.

Objet de ce travail : l’histoire de la Technologie. — Mais tel n’est pas l’objet de la présente étude. Nous ne nous demanderons pas aujourd’hui quels sont les divers types d’arts, combien il y en a ni dans quel ordre on doit les ranger — sous quelles impulsions les règles pratiques existant dans les divers groupes sociaux fonctionnent — ni enfin comment elles sont nées, se sont établies et sont tombées ou doivent tomber en désuétude. Nous nous demanderons quand et sous quelle forme ces problèmes ont été agités et quelles solutions ils ont reçues. Bref nous essayerons de faire l’histoire de la Technologie générale ou Praxéologie. La philosophie de la connaissance a eu ses historiens ; il n’est peut-être pas hors de propos de tenter l’histoire de la philosophie de l’action.

Place qu’il faudra faire à l’histoire des Techniques. — Une loi générale domine le développement de la Technologie. La spéculation précède l’action dans une certaine mesure ; mais la théorie des faits n’est possible qu’à partir du moment où ces faits existent depuis quelque temps ; nous verrons constamment la philosophie de l’action suivre le développement des industries et des pratiques. Certaines idées fondamentales pour l’établissement de cette doctrine ont été tirées du spectacle des œuvres mêmes de l’homme et ont dû attendre l’invention de ces œuvres pour éclore. Nous serons donc contraint, avant d’exposer la Praxéologie de chaque époque d’indiquer sommairement l’état des pratiques à cette époque et de dire quelles inventions nouvelles ont provoquées chez les théoriciens les réflexions d’où sont sorties leurs doctrines. II appartient à l’historien des pratiques elles-mêmes, non à nous, de montrer comment ensuite ces doctrines ont par un effet inverse réagi sur les arts et i enfanté à leur tour des modes d’action moins imparfaits[1].

  1. Cf. Littré, Hippocrate, Paris, 1844, vol.  IV, p. 658. « Toute science provient d’un art correspondant dont elle se détache peu à peu, le besoin suggérant les arts et plus tard la réflexion suggérant les sciences ; c’est ainsi que la physiologie, mieux dénommée biologie, est née de la médecine. Ensuite et à fur et mesure, les arts reçoivent des sciences plus qu’ils ne leur ont d’abord donné… »