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a. espinas. — les origines de la technologie

jugent suivant d’équitables lois et les étrangers et leurs concitoyens, qui jamais ne s’écartent du juste, ceux-là voient fleurir leurs villes et leurs peuples prospérer… Mais s’il en est qui préfèrent l’injustice et de criminelles pratiques, le fils de Saturne leur prépare un châtiment sévère. Souvent une ville entière porte la peine des iniquités d’un seul. Du haut du ciel, Jupiter fait descendre sur elle quelque fléau terrible, la famine avec la peste : les peuples meurent ; les femmes n’engendrent plus ; les maisons périssent ; ainsi le veut dans sa sagesse le maître de l’Olympe : d’autres fois il détruit leurs armées, renverse leurs murailles, submerge leurs vaisseaux. » Trente mille dieux surveillent les hommes et font connaître à Zeus les décisions des tribunaux. La Justice elle-même, quand elle est insultée, « va s’asseoir près de son père, se plaint à lui de la malice des hommes et lui demande vengeance » (v. 225-260).

Ainsi ce n’est pas l’homme qui a institué les lois ; le juste et l’injuste ne sont pas son œuvre ; ce sont des volontés expresses de Zeus. Et si ces volontés sont méconnues, le dieu se charge de faire en sorte qu’elles aient le dernier mot. Seulement ces volontés ne sont plus arbitraires ; elles ont pour raison d’être le maintien des cités et des familles, le bonheur de l’homme ; et celui-ci sait à quelles conditions il peut mériter la faveur du souverain du ciel ; il n’a qu’à obéir aux lois, qu’à tenir ses serments. Le poète ne paraît pas douter un instant qu’il ne dépende de nous d’observer la justice[1], comme il dépend de nous de labourer en temps utile et de tirer notre navire sur le rivage pendant la mauvaise saison. Contrairement à ce que nous lisions tout à l’heure dans d’autres passages, voici l’homme qui devient lui aussi, du moins dans une certaine mesure, et sous condition, le « distributeur des biens », l’artisan de sa destinée : le présent merveilleux que Zeus lui a fait en lui donnant la justice allège le poids de la fatalité qui pesait sur lui et contribue avec le travail à le relever de sa chute.

Cette prépondérance de la justice sur toutes les autres pratiques, même enseignées par un dieu, nous explique le vrai sens du mythe de Prométhée tel qu’il apparaît pour la première fois chez Hésiode. Il symbolise déjà l’initiative humaine ; cela est incontestable. Mais il laisse voir en même temps que, pour le poète, cette initiative a quelque chose de néfaste et de sacrilège, quand elle prétend assurer le bonheur en dépit, et même seulement en dehors de la volonté divine. L’homme a pu, grâce à Prométhée, entrer en possession du feu et

  1. « L’homme le plus parfait est celui qui ne doit qu’à lui-même toute sa sagesse, qui sait, en chaque chose, considérer la suite et la fin. Il est encore digne d’estime, l’homme qui se montre docile aux avis du sage. » (Op. et D., 291.)