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quelque peuple ancien d’une civilisation bien étrangère à la nôtre, Égyptiens, Spartiates, Hébreux… Est-ce que ces gens-là ne se croyaient pas autonomes comme nous, tout en étant, sans le savoir, des automates dont leurs ancêtres, leurs chefs politiques, leurs prophètes, pressaient le ressort, quand ils ne se le pressaient pas les uns aux autres ? » Et M. Tarde résume son chapitre en ces mots : « La société c’est l’imitation, et l’imitation c’est une espèce de somnambulisme », tout en priant le lecteur, en ce qui concerne la seconde partie de la thèse, de faire la part de l’exagération.

Le chapitre IV : Qu’est-ce que l’histoire ? est consacré à l’étude de l’archéologie et de la statistique qui, dit l’auteur, « sont conduites inconsciemment, au fur et à mesure qu’elles se frayent mieux leur voie utile et féconde, à envisager les phénomènes sociaux sous un aspect semblable au nôtre ». La conclusion est que l’histoire serait la collection « des choses les plus réussies, c’est-à-dire des imitations les plus imitées ».

Après avoir indiqué le côté de l’imitation dans la vie sociale et les moyens de recherche des lois particulières des diverses imitations dans la société, M. Tarde aborde l’étude des lois générales de l’imitation. Le chapitre V traite des lois logiques de l’imitation, le duel logique, et l’accouplement logique. Lorsque ce qui est inventé, c’est-à-dire une croyance ou un désir tend à se propager, à se répandre, cette croyance ou ce désir (on sait que ce sont pour M. Tarde les principaux faits psychologiques, surtout au point de vue social) rencontrent forcément d’autres désirs ou d’autres croyances, avec lesquels les premiers seront en accord ou en opposition logique ou téléologique. Dans le premier cas, il y a accumulation possible, dans le second cas, substitution possible. Cette distinction des inventions substituables et des inventions accumulables est, pour l’auteur, d’une grande importance : il l’explique par de nombreux exemples, a Une langue peut s’accroître d’une manière illimitée par l’addition de nouveaux mots, répondant à des idées nouvellement apparues ; mais si rien n’empêche le grossissement de son dictionnaire, les accroissements de sa grammaire ne sauraient aller bien loin ; et, au delà d’un petit nombre de règles et de formes grammaticales pénétrées d’un même esprit, répondant plus ou moins bien à tous les besoins du langage, aucune règle, aucune forme nouvelle ne peut surgir qui n’entre en lutte avec d’autres et ne tende à refondre l’idiome sur un plan différent. »

Après les lois logiques, M. Tarde examine (chap.  VI et VII) les influences extra-logiques ; les lois qu’il formule sont les suivantes : « à valeur logique ou téléologique égale par hypothèse, 1o les modèles internes seront imités avant les modèles externes ; 2o les exemples des personnes ou des classes et aussi bien des localités jugées supérieures l’emporteront sur les exemples des personnes, des classes, des localités inférieures » ; enfin, « une présomption semblable de supériorité s’attache tantôt au présent, tantôt au passé, et est une cause puissante