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tout à son pays ; dans le second, les contemporains et, le plus souvent, les étrangers, on tient surtout à son temps. Ces deux formes d’imitations se succèdent. « À l’habitude de croire sur parole les prêtres et les aïeux, succède l’habitude de répéter ce que disent les novateurs contemporains, c’est ce qu’on appelle le remplacement de la servilité par le libre examen. À vrai dire, c’est simplement, après l’acceptation aveugle des affirmations traditionnelles, qui s’imposaient par autorité, l’accueil fait aux idées étrangères qui s’imposent par persuasion. » Mais chaque innovation tend à son tour à s’imposer dans la durée, elle est à son tour transmise aux générations suivantes, et l’imitation-mode cède de nouveau la place à l’imitation-coutumo ; toutefois, il n’y a pas là de rétrogradation. Après être née dans une tribu et s’être propagée coutumièrement pendant des siècles dans cette enceinte close, puis en être sortie, et s’être répandue par mode dans les tribus voisines, congénère de vues, en s’y développant, une certaine forme de civilisation a fini par fondre toutes ces tribus en une nouvelle variété humaine à son usage qui s’appelle une nation. Ainsi « l’imitation, d’abord coutume, puis mode, redevient coutume, mais sous une forme singulièrement agrandie et précisément inverse de la première. En effet, la coutume primitive obéit, et la coutume finale commande à la génération. L’une est l’exploitation d’une forme sociale par une forme vivante ; l’autre, l’exploitation d’une forme vivante par une forme sociale. » Ce sont ces idées qui expriment pour M. Tarde, le développement des civilisation qui ont pu aller jusqu’au bout de leurs destinées sans mort violente, et il étudie à ce point de vue les divers aspects de la vie sociale : langues, religions, gouvernements, législations, usages et besoins, morales et arts.

En général, le résumé d’un livre est presque une trahison envers l’auteur. J’ai été rarement aussi frappé de cette vérité qu’en analysant le livre de M. Tarde : les propositions générales paraissent sèches, froides et moins vraies lorsqu’on les sépare des exemples qui les appuient, des idées de détail si nombreuses, si variées chez M. Tarde, qui les soutiennent en les accompagnant, enfin de la forme nette et souvent piquante de l’exposition. Je ne saurais donc trop engager le lecteur qui voudra apprécier le mérite de l’ouvrage de M. Tarde à le lire et à le relire. Il y trouvera ample matière à réflexion et n’aura à regretter ni son temps ni son plaisir.

II

Je voudrais maintenant indiquer mes réserves ; le livre de M. Tarde m’a toujours intéressé, toujours charmé, il ne m’a pas toujours convaincu. Toutefois, pour marquer la portée des objections que je lui ferai et sur lesquelles j’insisterai plus que sur nos points d’accord, je dirai tout d’abord que, sur bien des points, je suis pleinement de son avis, soit qu’il m’ait convaincu, soit que j’eusse déjà des opinions en