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erreurs, il faut renoncer au scepticisme malsain de Bacon, de Descartes et de Spinoza, il faut réhabiliter la téléologie et en faire la base de nos idées et de nos croyances morales.

V. Zwiereff. À propos du libre arbitre. — On commet l’erreur grossière d’opposer la liberté en général et la liberté de la volonté en particulier, à la nécessité et à la causalité ; on ne veut pas voir que ce sont là des idées incommensurables, pour ainsi dire, au même titre, par exemple, que les idées de poids et de couleur. La liberté et le déterminisme appartiennent à des catégories d’idées totalement distinctes ; les attributs qu’elles représentent peuvent, par conséquent, coexister dans le même sujet. Ces idées ne s’excluent pas, elles s’attirent plutôt, elles s’allient entre elles comme les notions de son et de couleur, de poids et de goût, et le libre arbitre, loin d’être la négation de la nécessité ou de la causalité, les suppose, au contraire, sous la forme spécifique de motifs conscients qui nous poussent à agir dans un sens plutôt que dans un autre. Le problème de notre liberté intérieure se ramène tout entier à la question de la valeur de la raison, de l’intelligence dans le sens le plus strict du mot, considérée comme une source constante d’activité, ou de motifs d’activité, au milieu des autres facteurs psychiques, tels que le sentiment, les émotions, les passions, etc., qui nous fournissent également des motifs pour agir. La liberté est le règne, dans notre activité consciente, de la raison ou des facultés auxquelles nous donnons ce nom ; ceci préjuge la question de la nécessité de nos actions, ou de leur stricte conformité aux lois de notre intelligence. Les actions libres se distinguent des actions qui ne le sont pas aussi bien que de tous les phénomènes de la nature, par là seulement qu’elles appartiennent à une catégorie spéciale de la nécessité universelle ; elles manifestent un aspect de la grande loi de causalité qui régit l’univers, mais cet aspect, étant donnée la structure psychique qui nous est propre, a pour nous une importance particulière. Un choix libre serait une véritable monstruosité logique, une contradiction in adjecto, si nous voulions y voir autre chose qu’un acte conscient et voulu, par conséquent, qu’un acte rigoureusement déterminé par certains motifs. À quel ordre de phénomènes psychiques appartiennent, dans tel ou tel cas, ces motifs, toute la question de la liberté est là. Chaque fois que nous sommes guidés par des motifs rationnels (bons ou méchants, moraux ou immoraux, la distinction importe peu ici), notre volonté est dite libre, et nos actions entraînent à leur suite une responsabilité morale qui est pleinement compatible avec l’idée de nécessité ou de conformité à la loi naturelle. La raison et la volonté ne sont pas, d’ailleurs, des forces ou des aptitudes psychiques indépendantes l’une de l’autre ; elles ne nous apparaissent telles qu’à la suite de certaines opérations analytiques très compliquées. En réalité, tous les éléments de la vie psychique sont toujours présents dans chaque phénomène mental, et ce que nous appelons raison, volonté, sentiment, etc.,