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l’acuité des sens, l’aptitude intellectuelle et l’entière possession de soi ! Cela se comprend sans peine : tant que règnent la discorde et la contradiction, beaucoup de tendances naturelles se tyrannisent et s’excluent les unes les autres, l’homogénéité seule permet au maximum de tendances naturelles de se réaliser à la fois.

Ainsi donc le personnage verbal doit avoir la domination, mais il ne la peut garder qu’à la condition de s’incarner dans le personnage sensitif et le personnage sentimental qui, seuls, ont une action directe sur nos muscles et par eux sur nos actions. Un mot qui n’est qu’un signe et ne se traduit pas en sentiments et en tendances n’a aucune valeur morale. La logique du personnage verbal règle donc, pacifie les contradictions de la sensation et du sentiment, mais à son tour elle leur emprunte son efficacité. Les rôles imaginaires servent à remplir les vides que le personnage sensitif et le personnage sentimental pourraient laisser dans la trame de l’action. Dans les circonstances nouvelles et sans cesse variées où nous nous trouvons, nous ne rencontrons pas toujours dans nos tendances intimes de quoi ordonner sans lacune la suite de nos actions. C’est alors, ainsi que nous l’avons expliqué plus haut, que nous réalisons les rôles imitatifs ou imaginaires. Poussés parle mouvement initial, nous remplissons la trame de l’action avec les vagues tendances que nous fournissent l’imagination ou la mémoire, selon les hasards de l’association. Nos manières d’agir risquent ainsi de demeurer constamment hétérogènes. Mais si, par la systématisation verbale, nous avons constitué des maximes générales d’action qui puissent se rapporter à toutes les situations de la vie, dans la plus extrême nécessité d’agir ces maximes seront présentes, ce ne sera plus l’association empirique des images qui réglera la continuité de l’action, ce sera l’association verbale et rationnelle, à la condition seulement que nous ayons à notre disposition les images nécessaires. Ces images, ce sont les rôles imaginaires qui les fournissent. Appelés par les mots, ces rôles se présentent et l’acte se réalise sous la dépendance des idées et en harmonie avec la direction générale de la vie. On l’a exprimé admirablement : « Nous nous proposons tel objet, telle idée, ou telle expression d’une idée : des profondeurs de la mémoire sort aussitôt tout ce qui peut y servir des trésors qu’elle contient. Nous voulons tel mouvement, et, sous l’influence médiatrice de l’imagination, qui traduit en quelque sorte dans le langage de la sensibilité les dictées de l’intelligence, du fond de notre être émergent des mouvements élémentaires, dont le mouvement voulu est le terme et l’accomplissement. Ainsi arrivaient, à l’appel d’un chant, selon la fable antique,