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coteuses de guillotines, des pétroleuses, des dames nihilistes, voire même des doctoresses russes, avec le misonéisme soi-disant essentiel à la nature féminine. Mais si, avec moi, on ne voit dans le penchant à suivre les nouvelles modes qu’une forme de l’imitation, on ne sera pas surpris que ce goût alterne chez les mêmes personnes avec le culte des vieux usages, des aïeux et du foyer. Et on concevra facilement que la femme, précisément parce qu’elle est très imitatrice, soit tour à tour dévote du passé jusqu’à la routine aveugle, et enthousiaste d’actualités jusqu’aux pires extravagances. Je ne dirai rien des sauvages ; mais je ferai remarquer que l’admiration superstitieuse, la vénération enthousiaste des peuples barbares pour les diverses formes de la folie, baptisées souvent prophétisme et sainteté, ne s’accorde guère avec cette aversion pour les nouveautés, c’est-à-dire pour les singularités, qu’on leur attribue trop libéralement. La noble folie qu’aime le barbare, c’est celle qui accentue l’individualité, qui en fait une exception singulière et puissante à la règle commune. Il oublie ses prêtres, représentants de la règle, pour courir au prophète et à l’ascète, représentants de l’exception.

IV

Ce qu’il y a de plus fâcheux peut-être dans la manière dont M. Lombroso entend le misonéisme, c’est qu’il est conduit par là à regarder toute invention, toute innovation, comme une anomalie morbide, compagne de la folie, puisque la routine est le seul phénomène normal, la santé et le salut des nations. Il ne distingue même pas entre les inventions qui sont conformes et celles qui sont contraires à l’esprit général de la société où elles éclosent. C’est pourtant cette distinction fondamentale, quoique souvent délicate et subtile dans le détail, qui seule peut justifier et expliquer l’opposition sur laquelle il insiste si fort sans parvenir à l’élucider, celle des insurrections et des révolutions, ou, pour mieux dire, celle des crises de destruction et des crises de renouvellement. Les révolutions vraiment rénovatrices sont, comme il le dit très bien, non le contraire de l’évolution sociale, mais son expression la plus nette et la plus forte. Le succès rapide et durable d’une idée politique ou religieuse nouvelle et brusquement importée dénote qu’elle était appelée, cherchée à tâtons depuis longtemps par les intelligences inquiètes, hantées des problèmes dentelle offre une solution inattendue. Le révolutionnaire, ou, pour mieux dire, le régénérateur, heurte un rocher de préjugés, comme le simple insurgé ; mais il en brise une pierre, et il en sort une source, un flot de con-