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g. belot. — théorie nouvelle de la liberté

enfin dans la conviction de sa liberté ; le fou furieux enfin doit ordinairement se sentir libre dans l’accomplissement d’un meurtre pour lequel un tribunal ne consentira pas à le punir. C’est qu’il suffit, pour nous sentir libres, que nos actes soient en harmonie avec nos idées et nos sentiments. Or cela peut très bien arriver au rêveur, au somnambule, à l’hypnotisé qui se sera suffisamment assimilé une suggestion, et qui naturellement la perçoit en tant qu’elle fait actuellement partie de sa propre conscience, et non en tant qu’elle lui vient du dehors ; au fou, qui, sauf au début, ne peut, avec une conscience pervertie et un moi désorganisé, apprécier cette perversion et cette désorganisation. Ils se sentiront donc libres. Mais ils ne le sont pas ; car le rêveur, le somnambule, l’hypnotisé, le fou, ne jouissent que d’une conscience incomplète ; et un grand nombre d’éléments de leur moi normal, qui permettraient le contrôle, la correction, l’inhibition, font défaut. Nous, spectateurs extérieurs, nous pouvons dire : cet homme n’est pas libre, car il n’est plus lui-même, il n’est plus lui tout entier, il ne possède pas, dans toute son étendue, sa conscience normale, ou il ne la possède plus dans l’état d’organisation normale. Mais lui-même, sur le moment, n’en peut rien savoir ; il n’est pour lui-même, en chaque instant, que ce que sa conscience lui montre de lui-même. Il peut donc, il doit même se sentir aussi libre, quand sa personnalité est altérée ou réduite, que lorsqu’elle jouit de la plus complète possession d’elle-même. Il suffit pour cela que ses actes soient en corrélation avec sa conscience actuelle. Il cessera seulement d’éprouver ce sentiment de liberté, dans ces cas d’obsession, de folie non encore systématisée, où il conservera encore une assez grande portion de son moi normal pour sentir le désaccord qui s’élève entre l’obsession ou la folie naissantes et le reste de sa personnalité ; il éprouvera alors le sentiment d’une fatalité, d’une contrainte. Or c’est justement ce qui atteste qu’il possède encore un reste de liberté ; c’est conserver encore quelque liberté que de s’apercevoir qu’on ne s’appartient plus. C’est le cas de ces pères qui, obsédés de l’idée de tuer leur enfant, sont encore capables d’avoir horreur de cette obsession, de se faire arrêter et enfermer.

Il s’en faut donc beaucoup que notre liberté ne soit rien d’autre que le sentiment que nous en avons ou qu’elle soit proportionnelle à ce sentiment. Comment dès lors échapper à la nécessité d’en définir la nature et les conditions’? Comment se contenter de faire revivre en nous le sentiment de la liberté si altéré qu’on puisse le supposer par les préoccupations déterministes de l’esprit, par les influence ? de la connaissance objective ?