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sans copier les ordres, tels que les avait légués la décadence romaine !

La psycho-physique a précisément pour objet de soumettre à une critique perpétuelle les formules d’atelier, de les rapprocher des principes esthétiques, de fournir aux esprits ingénieux et chercheurs les moyens de s’affranchir des règles scolastiques. Tous les artistes ne peuvent pas être des hommes de génie ; le génie lui-même a besoin d’utiliser les découvertes acquises et de s’appuyer constamment sur le travail des êtres plus modestes qui l’entourent ; car les soldats sont indispensable au général. Jamais l’œuvre d’investigation, de dépouillement et de critique ne pourra se terminer, car nous prenons nos principes dans la nature et la nature est inépuisable ; le savant n’arrivera jamais à dévoiler tous ses secrets.

Le chef d’école est l’homme de génie qui introduit un nouvel élément emprunté à l’observation. Par exemple, il remarque certains phénomènes curieux d’illumination, dont le souvenir peut être rappelé sur la toile ; l’atelier transforme cette intuition en une routine et bientôt arrive la décadence. La vie ne cesserait pas d’animer ce travail si les élèves savaient soumettre les procédés de maître à une discussion scientifique, les corriger lorsqu’il le faut et découvrir des règles plus élastiques, destinées à les compléter.

L’artiste créateur étudie la nature par le même procédé que le physicien ; c’est là un point d’une importance capitale ; le savant ne prétend pas connaître l’essence des choses, pour arriver déductivement à la détermination des accidents ; son ambition est moins grande : il établit des cadres, des divisions, ne veut savoir de chaque phénomène que ce qui rentre dans un genre simple ; en un mot il ne voit dans la nature que ce qu’il peut se représenter d’une manière scientifique. L’artiste opère de même ; au milieu de ce tumulte de mouvements, de cet amoncellement qui semble impossible à débrouiller, il saisit des caractères marquants, il établit une classification[1], une hiérarchie ; il voit le monde en le rapportant, en quelque sorte, à l’échelle de son art.

On sait, par exemple, qu’il est impossible de songer à copier les couleurs du paysage ; les pigments, dont on dispose, n’ont avec elles

  1. Citons, par exemple, la décomposition de l’étendue en plans ; ceux qui n’ont aucune éducation artistique ne voient pas ainsi la campagne, ou plutôt, n’ont qu’une idée assez vague de cette classification : pour les profanes il n’y a guère qu’une distinction en trois parties : auprès, au large, très loin. Cette classification, si grossière qu’elle soit, a une grande importance pratique : nous croyons que c’est à cette théorie qu’il faut demander l’explication de l’agrandissement de la lune près de l’horizon ; tout ce qui a été écrit là-dessus est peu satisfaisant.