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donc se manifester dans l’univers physique, c’est-à-dire dans l’espace, sans se soumettre par cela même aux formes de la quantité et aux exigences du calcul ? Ce n’est donc pas une formule plus ou moins incomplète du principe de conservation, c’est ce principe lui-même que ruine l’hypothèse d’une énergie « qui ne se prêterait plus au calcul[1]. »

On oppose, il est vrai, au partisan du déterminisme mécanique un argument qu’on peut appeler ad hominem : la forme la plus radicale du mécanisme est la doctrine qui fait de la conscience un épiphénomè. Or « si le mouvement moléculaire peut créer la sensation avec un néant de conscience, pourquoi la conscience ne créerait-elle pas du mouvement à son tour, soit avec un néant d’énergie cinétique et potentielle, soit en utilisant cette énergie à sa manière[2] ? » Que cette forme du mécanisme soit la plus radicale, nous n’y contrevenons pas ; mais que ce soit la plus conséquente et la plus satisfaisante, on nous permettra de le contester, puisqu’il ne serait pas difficile de montrer qu’elle s’accorde bien mal avec le principe même de condensation. M. Bergson d’ailleurs renonce lui-même à un tel argument puisqu’il repousse, et il a mille fois raison, cette doctrine de la conscience épiphénomène ; « car dans un mouvement, dit-il, on trouvera la raison d’un autre mouvement, mais non pas celle d’un état de conscience[3] ». Mais alors inversement, d’un état de conscience vous trouverez la raison dans un état de conscience, mais non pas celle d’un mouvement. « D’un néant de conscience vous ne ferez jamais jaillir de la conscience », objecte-t-on avec raison aux partisans de la conscience superflue ; d’un néant de réalité physique vous ne ferez jamais sortir le moindre fait physique, objecterons-nous à notre tour aux théoriciens du mouvement superflu. Est-il plus favorable à la liberté enfin de dire : le mouvement est inutile, que de dire : la pensée est inutile ?

Ainsi, en résumé, de deux choses l’une : ou la corrélation du physique et du psychique est constante, ou elle ne l’est pas. Qu’elle ne le soit pas, c’est une hypothèse non seulement peu vraisemblable en elle-même, mais qui n’établirait une certaine contingence qu’au détriment de la liberté. Si elle l’est, et la liberté le demande, elle ne se comprend pas dans l’indéterminisme comme une simple

  1. Nous ne voulons pas nous demander si l’instant est bien choisi pour faire une semblable hypothèse, au moment où les recherches de M. Hertz permettent d’espérer une réduction prochaine des phénomènes électriques aux lois des mouvements ondulatoires.
  2. P. 117.
  3. P. 113.