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gique ; les tendances trop longtemps opprimées acquièrent souvent plus de force, les tendances fortement combattues sont obligées pour se défendre de s’éveiller, de s’épurer, de s’organiser mieux. L’œil ou le cerveau qui a longtemps vu du rouge est porté ensuite à voir tout en vert, et même à côté du rouge naît simultanément une bande de couleur verte. De même un peuple chez qui une religion a été longtemps combattue éprouve souvent, si cette religion conserve encore chez lui une certaine force, un désir plus vif de la pratiquer, et même pendant la domination d’idées opposées, ceux qui conservent les idées anciennes sont naturellement portés à les fortifier, à leur donner une meilleure organisation. De tout cela naît, au bout d’un certain temps, un état nouveau qui résulte de la combinaison des tendances qui peuvent subsister et de la réaction de celle des anciennes tendances qui peuvent s’accommoder aux premières. Ce phénomène n’est pas général, il ne se produit tout d’abord que chez quelques personnes, mais il se multiplie rapidement. Un nouvel état d’esprit se forme et se propage. Comme l’homme n’a pas encore trouvé l’équilibre, la même série de phénomènes se reproduit et, à chaque fois, un nouveau fait peut se produire par l’acquisition de nouveaux éléments précieux, par l’élimination d’éléments nuisibles, par la complexité croissante de la synthèse politique, philosophique ou religieuse, si les circonstances sont favorables. Sans doute ce n’est pas là la seule forme que prenne l’enchaînement des croyances et, d’ailleurs, cette forme n’aboutit pas toujours à un progrès. Mais c’est une forme fréquente, dont la politique nous offre depuis le dernier siècle des exemples intéressants, et c’est celle qu’a prise l’évolution des esprits dont nous avons ici à constater le mouvement, à apprécier les résultats.

Le mouvement actuel paraît, en partie, une réaction contre le naturalisme et le pessimisme qui ont été en faveur pendant quelque temps. Le pessimisme réagissait de son côté contre une doctrine qui était elle-même une réaction. La théorie de la « bonne nature », de la mère inconsciente qui veille sur notre vie et notre bonheur, que nous méconnaissons parfois en la contrariant, avait, après une longue lutte, remplacé, dans bien des esprits, la conception chrétienne du monde mauvais, du monde occasion de péché, de même que celle-ci lui avait autrefois succédé. La loi de nature, le retour à la nature, toutes ces expressions scientifiquement vagues ou inexactes, mais d’un intérêt historique certain, montrent assez bien comment on concevait le monde. Il y a quelque cent ans, la mode était de croire que si l’on délivrait l’homme des entraves dont la société et la religion l’avaient chargé, le règne de la nature, c’est-