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la ligne la plus longue ; elle ne se trompait pas ; son assurance éveilla mes soupçons ; je lui demandai comment elle s’y prenait, et elle m’apprit, très naïvement, qu’elle avait remarqué sur la feuille portant la plus grande longueur un point noir ; ce point noir, tout petit, lui servait de repère chaque fois pour découvrir la ligne la plus longue. Ce n’est pas le seul exemple de simulation inconsciente que j’ai observé au cours de ces recherches : j’en citerai plus tard quelques autres, et l’on verra que les observations et expériences sur les enfants présentent à peu près les mômes causes d’erreur que celles qu’on pratique sur les hystériques.

J’ai eu l’occasion d’essayer sur l’un de mes deux petits sujets l’instrument ingénieux que M. Beaunis a imaginé pour étudier la mémoire et la comparaison des angles ; cet instrument se compose de deux demi-cercles munis chacun d’un rayon mobile avec lequel on peut faire tous les angles désirables. J’ai recherché dans quelle condition les deux enfants pouvaient reconnaître qu’un des angles est plus petit que l’autre. Une recherche préalable nous a montré qu’un adulte peut assez facilement percevoir une différence égale à 2/40 du plus petit angle. Quelques personnes peuvent même plusieurs fois de suite et sans se tromper percevoir une différence de 1/40 ; d’autres ne perçoivent pas une différence inférieure à 3/40.

Dans toutes mes recherches je plaçais les deux demi-cercles sur une grande feuille blanche bien éclairée ; je les disposais l’un à côté de l’autre, les deux diamètres sur la même ligne, et l’enfant placé entre les deux était obligé de tourner la tête à droite pour étudier celui de droite et à gauche pour étudier l’autre. Il était par conséquent impossible que l’enfant pût les percevoir simultanément ; la perception était toujours successive, ce qui rendait évidemment la comparaison beaucoup plus difficile, car elle exigeait un effort d’attention et de mémoire plus grand que la comparaison de deux lignes. J’ai eu soin dans les expériences que la lumière du jour tombât toujours perpendiculairement au diamètre des demi-cercles. De plus, dans les essais successifs, je plaçais le demi-cercle présentant le plus grand angle tantôt à la droite de l’enfant, tantôt à sa gauche, sans aucun ordre, et surtout, j’avais soin, pour éviter tout point de repère, de changer la direction du rayon, de sorte que tel demi-cercle présentait tantôt le plus grand angle, tantôt le plus petit. L’appareil de M. Beaunis se prête facilement à ces diverses précautions, et je l’ai trouvé d’un emploi très commode.