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naville. — principes directeurs des hypothèses

sa carrière, sous l’influence prédominante des conceptions hégéliennes, annonçait, en se fondant sur une déduction philosophique, que la charte de Louis XVIII était l’avenir, non-seulement de la France, mais des sociétés européennes. En 1851, peu de temps avant le 2 décembre, j’ai entendu un professeur de philosophie de l’histoire certifier, au nom de sa science, que les coups d’État étaient désormais impossibles. Auguste Comte enfin, qui a affirmé de la manière la plus catégorique le déterminisme des phénomènes humains, prédisait, après la révolution de 1848, que la république ne serait jamais détruite en France et que les grandes guerres n’auraient plus lieu en Europe. On voit que les hypothèses dirigées par le principe du déterminisme absolu des actes humains ne se trouvent pas vérifiées par les faits.

Une autre conséquence du déterminisme serait que les lois psychologiques une fois trouvées, on pourrait régler la marche des sociétés humaines, comme on règle la marche d’un mécanisme lorsque les lois de la dynamique sont bien établies. C’était le fond des conceptions de Fourier, comme c’est le fond de toutes les illusions des réformateurs socialistes qui attendent tout du jeu des institutions. Les expériences tentées dans cette voie n’ont pas obtenu un bon résultat. L’homme n’entre pas dans une organisation de la société avec la docilité absolue dont font preuve, dans un mécanisme, les molécules de la matière. Les partisans du déterminisme ne contestent pas la réalité de ce fait, mais ils en contestent la portée. Ils pensent que ce qu’on ne peut pas aujourd’hui, on le pourra plus tard. Notre astronomie prédit les éclipses et, d’une manière générale, la position relative des astres à un moment quelconque. La prévision certaine des phénomènes météorologiques échappe encore à notre science ; elle sera possible à une science plus avancée, aucun esprit vraiment scientifique ne saurait avoir de doutes à cet égard. Plus un objet se complique, plus sa connaissance exacte devient difficile ; c’est seulement parce que l’homme est le plus compliqué de tous nos objets d’étude qu’il garde à nos yeux l’apparence de la liberté. La liberté n’est qu’un mot qui sert à couvrir notre ignorance des causes nécessitantes ; mais cette ignorance fera place peu à peu au savoir, et, après avoir trouvé les lois qui nous permettront d’annoncer avec certitude la marche des vents et la formation des nuages, nous arriverons enfin à avoir en pleine lumière l’origine toujours parfaitement déterminée des actions humaines, et nous pourrons prévoir la destinée des sociétés comme les phases des phénomènes naturels. Ces affirmations sont visiblement le résultat d’une conception a priori, en vertu de laquelle on étend à l’ordre psychologique une