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delbœuf. — formation de l’espace visuel

que le parallèle entre elle et la lumière fût plus exact. Le mieux évidemment serait que la traînée odorante s’altérât avec le temps. L’espace contiendrait alors la chronique fidèle des événements passés et de leurs dates.

Il est une autre différence, à première vue, considérable. Les émanations odorantes sont des molécules matérielles, tandis qu’un trait de lumière n’est qu’un ébranlement vibratoire. Celui-ci disparaît, celles-là restent, de sorte que, se déplaçant dans l’espace, elles n’emportent pas avec elles le cachet de leur origine. Le rayon, lui, se dirige en ligne droite vers l’œil, et l’on peut affirmer sans scrupule, en ne tenant pas compte d’une réfraction possible, que la source lumineuse est située sur cette ligne droite. Cette différence disparaît, ou mieux, apparaît comme secondaire, dès que l’on raisonne de part et d’autre pour un temps suffisamment court et un lieu d’émanation suffisamment rapproché de l’appareil sensoriel. Dans ces conditions les atomes odorants ou brillants peuvent être censés venir en ligne droite de leur source. La particularité qui, sous ce rapport spécial, distingue les odeurs d’un trait lumineux, c’est donc, que, relativement à la vitesse de la lumière, elles sont lancées avec une lenteur très-grande, de manière que la trajectoire, à partir du centre de projection, cesse assez tôt d’être droite.

C’est pour cela, entre autres raisons, que nous éprouvons de grandes difficultés à déterminer par l’odorat seul le lieu où se fait, par exemple, une fuite de gaz. Mais le chien, sans contredit, peut se conduire avec son nez presque aussi bien qu’avec sa vue. Cependant il y a des personnes à qui leur sensibilité exceptionnelle donne à cet égard des indications assez précises. Je me rappelle qu’un jour d’été, une société de quelques personnes faisant une partie de campagne, décida après le repas, d’aller prendre le café sous un berceau. Ce berceau était construit sur un petit tertre dont les talus étaient couverts de lierre, de pervenches, de saxifrages, et autres plantes rustiques. À peine étions-nous attablés qu’une odeur infecte se répand autour de nous. Dans les premiers moments on garda un silence poli. Mais, l’odeur persistant, on commença par jeter autour de soi des regards interrogateurs, on recouvra la parole et, après diverses suppositions, on conclut qu’il devait y avoir dans le voisinage une bête crevée. On voulut en avoir le cœur net ; on chercha, on fureta partout, et l’un de nous finit par découvrir le corps du délit dans le fouillis de plantes au milieu duquel nous nous trouvions : c’était un champignon, le satyre impudique, appelé aussi, je crois, morille fétide. On se remet à table avec une entière confiance ; les mêmes émanations se firent sentir derechef. Il y avait un second individu. En effet. Mais il y en