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delbœuf. — formation de l’espace visuel

encore. Le noir n’est pas l’absence de sensation lumineuse, car, comme le dit fort bien Helmholtz, un objet placé derrière le dos ne nous apparaît certes pas comme noir. Le noir, c’est la perception d’un trou au milieu ou autour d’un fond lumineux. C’est ainsi que, si l’on place sur la paume de la main un anneau soit chauffé soit glacé, en dehors et en dedans de l’anneau la sensation sera nulle, et pourtant, par un effet de contraste, cette sensation nulle fera l’effet d’une sensation opposée à celle qui est faite à la place où l’anneau se pose. Je ne puis donc en aucune façon souscrire à la comparaison que Pflüger établit entre le noir et le froid[1]. Le froid et le chaud sont opposés entre eux, comme le bon et le mauvais, le suave et l’infect ; ils produisent des sensations déterminées, contraires si l’on veut, mais ils ne donnent jamais lieu à un phénomène comparable à l’absence de sensation. Dans le domaine de la vision, ce qui leur correspond c’est, comme je l’ai dit ailleurs, la trop grande clarté qui cause l’éblouissement, et la trop faible clarté qui cause l’effet auquel j’ai donné le nom d’offusquement. Mais le noir est le résultat d’un contraste. Un papier blanc en partie fortement éclairé par le soleil nous paraît, pour ainsi dire, noir dans la partie restée dans l’ombre. Aussi le peintre rendra cette opposition par le blanc et le gris très-foncé. La sensation du noir est donc une conséquence de ce que les sensations visuelles sont accompagnées de la perception de l’étendue.

IV

J’ai maintenant à examiner le cas des yeux doubles. La duplicité de la plupart des organes des sens chez la presque totalité des animaux a une cause, peut-on dire, physique. Cela provient de ce que pour tout être pesant vivant sur un globe, il y a une différence, entre le dessus et le dessous, et pour tout être qui marche, un avant et un arrière, mais qu’il n’y a nul caractère qui distingue matériellement le côté droit du côté gauche. C’est donc la force des choses qui nous a donné deux yeux, deux oreilles, deux bras, deux jambes, etc. ; et nous nous sommes accommodés à cet état symétrique et nous en avons tiré parti. Mais n’eussions-nous qu’un œil unique, nous pourrions, à la rigueur, le dédoubler en exécutant des mouvements rapides et en retenant les impressions diverses que nous

  1. Die teleologische Mechanik der lebendigen Natur (Physiologisches Laboratorium in Bonn), p. 94.