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boutroux.zeller et l'histoire de la philosophie

synthèses à priori de la raison pure. L’histoire était ainsi l’expression vivante de la métaphysique.

M. Zeller en est arrivé à repousser nettement ces conclusions, pour ce qui est, soit de l’histoire en général, soit de l’histoire de la philosophie en particulier.

Et d’abord, dit-il[1], quant à l’histoire en général, il est impossible d’obtenir une définition de l’humanité tellement adéquate à son objet réel, qu’il puisse suffire de la développer logiquement pour obtenir la suite complète et exacte de tous les phénomènes historiques. Ensuite, l’objet qu’étudie l’historien n’est pas l’œuvre d’une cause nécessitée, mais de volontés libres individuelles, agissant avec une contingence effective. Si considérable que soit l’ensemble de phénomènes que l’on considère, cet ensemble retient nécessairement une part de la contingence inhérente à chaque détail ; et, admît-on que l’évolution humaine a un but nécessaire, on ne saurait contester que ce but peut être atteint par différentes voies.

En ce qui concerne spécialement l’histoire de la philosophie, la doctrine hégélienne soulève de nouvelles objections. Ramener, en effet, le contenu des systèmes à des catégories purement logiques, c’est les dépouiller de leur physionomie propre et les faire évanouir dans des concepts généraux. De plus, la logique spéculative va de l’abstrait au concret, tandis que le développement historique va du concret à l’abstrait. Enfin, l’ordre de succession est déterminé, en logique, par les rapports internes des concepts, en histoire par des motifs psychologiques, Là on doit raisonner à un point de vue universel, ici il faut raisonner au point de vue de l’auteur que l’on considère. Et ces objections spéculatives sont confirmées par l’expérience : car, en fait, il s’est trouvé impossible de faire concorder la réalité, sans la dénaturer, avec tel ou tel schème construit à priori.

Que si la doctrine hégélienne de la construction est mal fondée, ce n’est pas une raison pour en revenir, purement et simplement, à ce pragmatisme peu scientifique, qui ne voit dans les philosophies historiques qu’une série d’efforts individuels sans lien entre eux, et qui se borne à expliquer le détail par le détail, sans oser rechercher les lois et les raisons de l’ensemble. On ne peut en effet, soit comprendre, soit même établir les faits de détail, sans les rattacher aux touts dont ils font partie, de même qu’on ne peut déterminer l’authenticité et le sens d’un texte donné, sans examiner le contexte. Sans doute les faits philosophiques, comme tous les faits humains, sont autre chose que le produit pur et simple, et en quelque sorte

  1. Phil. d. Gr. (4e éd.) Ier Introd., p. 8, ss.